« S’interroger sur ce qui aurait pu advenir. Sans jamais avoir la chance de le découvrir… Voilà, je crois, ce qui fait le plus de mal ».
Résumé
« Cornouailles, une ferme isolée au sommet d’une falaise. Battus par les vents de la lande et les embruns, ses murs abritent depuis trois générations une famille… et ses secrets. 1939. Will et Alice trouvent refuge auprès de Maggie, la fille du fermier. Ils vivent une enfance protégée des ravages de la guerre. Jusqu’à cet été 1943 qui bouleverse leur destin. Été 2014. La jeune Lucy, trompée par son mari, rejoint la ferme de sa grand-mère Maggie. Mais rien ne l’a préparée à ce qu’elle y découvrira. Deux étés, séparés par un drame inavouable. Peut-on tout réparer soixante-dix ans plus tard ? Destinées prises dans les tourments de la Seconde Guerre mondiale, enfant disparu, paysages envoûtants de la Cornouailles … «
Auteur : Sarah Vaughan
Éditeur : Préludes
Parution : 2016
Pages : 445
Mon avis
Il y a déjà longtemps, j’avais vu passer ce livre en photo, son titre m’avait plu, et je l’avais oublié. Et puis c’est en passant à la bibliothèque il y a deux semaines, je suis retombée sur cette couverture, que j’avoue trouvée magnifique, tant il s’en dégage une forme de douceur nostalgique qui semble trompeuse au regard de la quatrième de couverture.
J’avais lu en 2016, La mémoire des embruns de Karen Viggers , qui m’avait laissé un beau souvenir, malgré une lecture assez lente et difficile. Ce livre-ci y était comparé, alors je me suis dit « Pourquoi pas tenter ? ». Depuis 2016, je me suis aussi découvert un intérêt pour les drames, les histoires de famille, le tout lié à un lieu dit fortement personnalisé voir personnifié. Même si dans « La ferme du bout du monde », le lieu m’a semblé moins personnifié, les descriptions sont plus ténues, que les lieux dans les romans de Kate Morton, par exemple, qui prennent vraiment une place à part entière. Ici, ce serait presque les plages et les falaises de Cornouailles qui tiendraient cette place, tant de choses s’y produisent !
Cette lecture m’a évoqué des souvenirs d’anciennes lectures : j’ai repensé au Cercle Littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows mais également aux Heures Lointaines et à La scène des souvenirs de Kate Morton ainsi qu’au Les chroniques de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique de Carles S. Lewis. Dans ces deux cas, le sujet des enfants londoniens envoyés dans des familles à la campagne est abordé de manière très différente. On peut dire que j’ai également eu une pensée au film de Disney, L’apprentie sorcière de 1971 et une série de documentaires terribles sur ce sujet…
« Car au pied de ces falaises et de ce promontoire il n’y a rien que l’Atlantique bleu pétrole… puis l’Amérique, inconnue et invisible. Alors, elle est une ferme du bout du monde. Le genre de lieu où les règles habituelles peuvent être infléchies, rien qu’un peu, et où les secrets demeurent enfouis. Qui pourrait bien les répéter ? Qui pourrait bien les entendre ? »
La suite contient des spoilers !!!
C’est donc avec toutes ces images que j’ai construit ma vision mentale de l’univers de Maggie et Will. Un univers fait de soleil radieux jouant sur les blés, du ressac de la mer, de falaises abruptes et mortelles aux multiples cachettes, du bruit des vaches, d’une forme de monotonie cruelle et pourtant si fragile.
Le monde de Maggie est un monde ancien, celui du temps de ma grand-mère, de cette époque où l’on était pas du tout maître de son destin, où l’on devait respect et obéissance à ses parents au risque de les voir briser votre vie et vos espoirs. J’ai trouvé profondément émouvant cette femme, qui malgré les décennies écoulées, se refusent à quitter Polblazey, parce que cette ferme est le seul cordon ombilical qui la raccorde à son bébé perdu. J’y crois du plus profond de mon cœur, à cet attachement irrationnel et d’une tristesse infinie, sans âge, une douleur qui ne s’est jamais atténuée. Ce que l’on faisait vivre à ces jeunes femmes étaient tout bonnement atroce, la scène de l’accouchement, les craintes de Maggie, la violence de sa propre mère prête à tout pour éviter le « qu’en dira-t-on », tout cela me semble tellement insoutenable. Se voir ainsi trahie par la personne de la part de qui on pourrait espérer le plus de compréhension… C’est une cassure définitive. Et lorsque l’on voit le parcours de Maggie, on comprend à quel point cette jeune femme, à présent devenue vieille, a fait sa vie, n’a pas été malheureuse mais a toujours rêvé d’une autre, ses disparus ont pris toute la place dans son cœur et dans son esprit. Autant dire que j’ai été profondément touchée par cette partie du récit.
Ayant malheureusement connaissance d’histoires de cette violence dans le passé de mes grand-mères et arrière-grand-mères, je suis immensément touchée par ces récits de négation de choix et d’être, de ce qu’on pouvait imposer à ces femmes et à leurs enfants. Car il y a cette violence là aussi, inouïe, ce petit enfant, juste né, arraché aux bras de sa mère trop faible pour le retenir… Cet enfant à l’avenir incertain. Cet enfant dont la mère espère toujours l’arrivée par la porte du jardin… restant assise sur ce banc de pierre, attendant, le regard tourné vers une autre époque envahie par de nombreux fantômes qui peuplent cette ferme. Des fantômes qu’elle est la seule à voir, tant le poids du secret est lourd à porter.
Cette thématique est encore d’actualité, bien que comme dans les livres, les enfants sont également devenus des vieillards. Enfants de fille-mères, de jeunes-filles envoyées à la « campagne » parce qu’elles avaient été « déshonorées ». Ces enfants abandonnés dans les couvents, qui, si ils avaient de la chance trouvaient des bonnes familles… mais pouvaient tout aussi bien ne pas passer l’année tant les soins qui leur étaient réservés étaient mauvais. En son temps, j’avais pu voir un documentaire où l’on suivait la quête d’enfants cherchant à retrouver leur mère, alors qu’ils étaient nés dans des situations similaires. Les retrouvailles étaient déchirantes…
Et il y a maintenant Lucy, ce schéma est finalement récurent dans ce type de roman, où le personnage contemporain agit comme un révélateur, voir un verre grossissant, agent de transmission du passé, qui à travers la découverte des secrets anciens parvient à se trouver lui-même. Je suis généralement beaucoup moins investie dans la partie moderne, car j’y ressens toujours plus le coté « personnage ». Néanmoins, Lucy m’a touché, notamment dans cette crainte viscérale qu’elle a de commettre à nouveau une erreur qui pourrait cette fois, avoir des conséquences terribles. Ayant un passif avec les services de néonatologie, je ne peux que visualiser et comprendre la violence, la précarité des vies en jeux, et la pression que cela peut engendrer sur le corps médical.
Au final, vous l’aurez compris, ce sont les chapitres consacrés au passé, à Maggie et à Alice qui m’ont le plus touché et que j’ai le plus apprécié. Ce fut une belle lecture et je suis contente d’avoir arpenté les côtes de cette Cornouailles cachée, indomptable et sauvage !
« C’est terrifiant à quel point la vie peut basculer en un instant : comme une pièce qui tournerait sur sa tranche dans un infini mouvement joyeux et qui, d’un coup, tomberait sur une face ».