« Il y a toujours quelque chose d’irréel dans la mort. Ceux qui partent nous laissent seuls, encombrés de tout ce qu’on n’a pas su leur dire. »
Autrice : Gaëlle Nohant
Éditeur : Le livre de Poche
Parution : 2007
Pages : 331
Résumé
Dans cette Bretagne où la brume peut nous faire passer d’un monde à l’autre, une fratrie entière se voit hantée nuit après nuit par des souvenirs aussi sombres que terrifiants : ceux d’un trois-mâts disparut corps et bien en 1912 et de son équipage fantomatique en passant par des visions dantesques des charniers de la grande-guerre ou l’acte fou d’une femme poussée au désespoir.
« Les morts marchent ce soir »
Enogat, leur mère, orpheline, a soigneusement entretenu l’ignorance du passé familial, pensant protéger sa progéniture de réalités trop lourdes à porter. Mais en cassant cette ligne généalogique, n’a-t-elle pas involontairement privé ses fils de repères et de racines auxquelles se raccrocher alors qu’ils sont pris dans ces tourments nocturnes ?
Jusqu’à ce que l’un d’eux, Lunaire, décide de confronter ses rêves à la réalité… Espérant ainsi les faire voler en éclat. Il ne s’imagine pas alors à quel point sa vie – et celles de ses frères – pourrait être transformée par ses découvertes. Qu’il s’agisse d’apaiser les consciences des morts ou des vivants, de comprendre ou d’avancer… ou de découvrir le passé avant que celui-ci ne les ensevelisse … ?
« … soudain il était là, immense à coté de la barque, ses trois mats perçant le ciel comme des baïonnettes, ses lourdes voiles dépliées dans l’air que n’agitait nul souffle. Comme un défi royal aux lois de la navigation, il semblait créer son mouvement à sa convenance, carcasse animée par la vie puissante de son bois centenaire »
Mon avis
Si vous me suivez un peu, vous savez déjà à quel point je suis fascinée par la mer, ses légendes, ses mythes… Ainsi, forcément ce titre m’a tout de suite intrigué !… Ce livre est un étrange mélange… sans doute pourrait-on appeler cela du fantastique et pourtant, dans le cas présent, je dirais que ce récit prend sa place dans cette interstice mystérieuse entre la vie et la mort, entre la superstition, le mythe et la foi, quelque chose d’inexplicable comme les non-dits familiaux et les malédictions que l’on traîne sans même s’en rendre compte…
« Lui qui utilisait la raison comme un garde-fou découvrait que l’irrationnel transpirait dans le tangible, que personne n’avait songé à colmater les murs au commencement du monde ».
Dans les légendes celtiques ont parlent souvent d’un voile entre les mondes, de la brume qui cache le monde des morts à la vue des vivants. En Bretagne, l’Ankou est un personnage omniprésent, surtout à cette époque des grandes courses et des longs voyages où tant de marins perdaient la vie. Ne laissant que le vide dans les cœurs et dans leur tombe.
« Les fêlures, les blessures, les tragédies qui avaient secoué tous ces gens circulaient peut-être à travers la chaîne des rêves, comme le sang bleu ou les maladies génétiques ».
De ces choses qui se transmettraient dans une famille alors même que personne n’en parle, comme quelque chose qui s’accrocherait à l’ADN des descendants.
« Dans cette région où les nuits froides et sifflantes réveillaient les mauvais souvenirs, il y avait assez de fantôme pour tout le monde et assez d’alcool pour les anesthésier partiellement ».
Les morts marchent le soir dans les terres de Bretagne, ils ont des choses à raconter, des drames à transmettre, des colères non apaisées…
C’était une lecture pleine de questionnement sur l’héritage, les légendes, les fantômes, les rêves, le poids historique de nos ancêtres sur nos propres choix et comportements… Et puis, ce roman s’ajoute aussi à plusieurs autres, concernant le patrimoine breton, la dureté de la vie de Marin, des grandes courses du XIXème siècle, sur les veuves, les orphelins, sur cette relation si particulière à la mer, à la mort et à l’Ankou que l’on ne peut avoir que dans ces lieux où la mort peut survenir à tout moment. C’était glaçant, inspirant, terrifiant… Vivre au bout de l’abîme, ne pouvoir jamais s’en détourner… Et puis il y a cette autre vague terrifiante qui a dévoré tant d’hommes : la Grande Guerre et ses vagues de terres criblées d’obus et de cadavres. Le parallèle était tout aussi violent, on y parlait alors de choc traumatique et de vestige de l’humanité.
« Ni que son océan à lui serait jonché de galeries enfoncées dans la terre, avec la boue pour berceau, le vacarme des obus s’abattant telles des myriades de vagues sifflantes de colère, le tressautement des morts vivants auscultant leur carcasse à l’aveuglette à la recherche des pièces manquantes. »
Autant vous dire que ce n’est pas une lecture légère, certains passages sont réellement difficiles à lire – du moins en ce qui me concerne. Mais je l’ai beaucoup appréciée. Je pense que le fait que les personnages se meuvent dans un décor qui ne m’est pas inconnu, n’est pas étranger à l’effet que cette histoire a eu sur moi et à l’émotion que j’en retire…
Certains personnages d’ailleurs m’ont beaucoup marquée et comme ce récit nous permet de mélanger la vie, le souvenir, le fantasme et la mort, cela donne une consistance toute particulière (et souverainement tragique) à certains d’entre eux.
Je finirai par dire que ce récit s’ajoute à mon grand puzzle intérieur, sur la mer et la guerre 1914… amenant d’autant plus de nouveaux vécus à cette grande fresque qui – malgré le fait qu’elle soit passionnante et fascinante – me retourne aussi l’estomac.