Se battre, jusqu’au bout. Se sacrifier aussi, lorsqu’il le faut. Aimer. Souffrir. Echouer. Rêver. Pardonner. Supporter la peur… […] Être humain, tout simplement. Voilà un privilège que vous possédez et que vous ne devez pas gâcher. Vivre est un grand don, il faut en prendre soin, j’espère que vous vous en rendrez compte un jour.
Autrice : Eloïse Tanghe
Éditeur : Editions du Chat Noir (Cheshire)
Parution : 2018
Pages : 325
Résumé
Dans les couloirs glacés d’un asile, des voix chuchotent à votre esprit. Elles vous murmurent une destination, un village. Vous soufflent des images. Un lac cerné de neige. Une église souillée. Un brasier et les cris qu’il renferme. Elles vous content une histoire de sorcières. Vous narrent ses chapitres maudits. Sous un linceul de cendres, gît une vérité que nul habitant ne pourra plus ignorer. Leurs secrets. Leurs peurs. La vôtre. Il est déjà trop tard. Bienvenue à Clairemont.
Mon avis
J’aime toujours un peu parler de ce qui fait qu’un livre se retrouve entre mes mains, ici outre un titre intriguant et court, il y avait la sublime couverture de Len-Yan qui me promettait un récit fort sombre. Cette illustration résume assez bien l’histoire qui nous est ici raconté par une toute jeune autrice prometteuse : Eloïse Tanghe.
Attardons-nous un peu sur ce personnage, image parfaite d’une lignée maudite. Elle se détache de cette nuit sombre où l’on peut néanmoins apercevoir quelques étoiles. Son regard ne semble pas ciller, il est hypnotique et droit, signe peut-être d’une grande force de caractère. Et puis il y a ce qui l’entoure et qui pourrait être bien des choses, selon notre point de vue : des ombres ? Des volutes de fumée ? L’encre de la nuit ? Un corps se désagrégeant en poussière et en cendre ? A vous de voir !
Quelque part, nous avons les grandes lignes de ce récit. De l’Obscurité, des personnages forts mais se retrouvant confrontés à des événements qui les dépassent, de la peur et de la résistance… Et pourtant l’abandon. Ce roman fantastique nous fait voyager entre des personnages de différentes époques, sur des destins à travers des lignées profondément marquées par les actes et la folie d’une communauté, celle de Clairemont.
Il risque peut-être d’avoir quelques spoils, si vous ne souhaitez rien savoir… Passez votre chemin !
Une histoire de Sorcellerie
Par un étrange hasard, j’avais regardé un documentaire sur la torture … La bonne moitié de ce documentaire s’attachait au supplice tristement connu du bûcher pour les hérétiques et les sorcières. J’ai eu aussi quelques réminiscences d’une série de documentaires que j’avais pu découvrir sur National Geographic : Les contes sanglants d’Europe. Une série de documentaires très intéressantes si vous avez le cœur bien accroché (moi ça n’a pas toujours été mon cas).
Ce n’est clairement pas un sujet qui m’est inconnu non plus, je me suis intéressée par le passé à de nombreux procès de sorcellerie et aux folies de l’Inquisition… J’ai toujours été fascinée autant que terrifiée par la folie des foules et ce besoin terrible de trouver un bouc émissaire à ses problèmes. Ces gens ressentant une forme d’euphorie morbide temporaire où toutes les inhibitions tombent, laissant apparaître la part la plus sombre des êtres humains. Tout ça pour avoir l’impression un bref instant qu’avec la souffrance et l’anéantissement de cet Autre, tous les problèmes vont être résolus – ce qui n’était évidemment jamais le cas et amenait les gens à se dire qu’ils devaient y avoir encore de la graine de malin parmi eux et à continuer la chasse aux sorcières au risque de détruire la communauté.
Le roman
Je trouve que dans ce roman, Eloïse Tanghe parvient fort bien à nous retranscrire avec une certaine poésie, cette folie et cette peur irrationnelle (retranscrite par un narrateur des plus énigmatiques). Elle nous fait naviguer d’un personnage à l’autre – des personnages aux personnalités bien définies et agréables à suivre – d’une époque à l’autre, dans un enchaînement imperturbable. C’est un roman où le fantastique est présent, mais diffus, tapis dans l’ombre serait presque la meilleure manière de le définir !
On a bien du mal à s’imaginer que les folies du 17ème pourraient se retranscrire sur notre époque, et pourtant, il y a toujours une part de nous qui oscille et qui nous chuchote que l’être humain n’a pas changé dans son esprit et que si les moyens sont différents, il ne faut pas pousser beaucoup pour que l’on plonge à nouveau dans l’horreur.
J’ai apprécié cette lecture, l’écriture est agréable et bien que le traitement du sujet m’a paru parfois un peu maladroit, c’est fait avec beaucoup de justesse.
Et puis, cette fin, dans ce genre littéraire, je ne m’y attendais pas ! (Elle était toute fois un peu difficile à suivre… )
Bref, je vous recommande tout de même cette belle lecture et je suis très curieuse de la suite de carrière de cette jeune autrice, qui me semble fort prometteuse !
MEGA SPOILERS
Surlignez pour lire… 😀
Par contre, je crois qu’en ce moment, je suis pas faite pour les récits où les mauvaises personnes s’en tirent en toute impunité. Il fut extrêmement frustrant de constater qu’il n’y avait finalement aucune justice pour Éléonore, et ce même à travers sa descendance qui se voit finalement annihiler pour de bon.
Le fantastique est finalement assez diffus : La nature des voix restent un mystère, on ne sait réellement ce qu’elles sont : un héritage de l’horreur tatouée dans l’esprit de la descendance, à la manière du survivant qui cauchemarde bien après son choc traumatique ? On ne sait pas si ces voix continueront à exister à travers Elias ou si elles se sont tuent avec la dernière des Martel.
Le fait que le martyre d’Éléonore soit provoqué finalement par la jalousie de sa meilleure amie et aucunement par un fait magique renforce évidemment le sentiment d’injustice, mais est particulièrement crédible quand on connait les motivations derrières certains véritables procès en sorcellerie. On est dans un jeu de jalousie, d’amour contrarié et d’homosexualité refoulée qui provoque une haine incroyable de la part d’Elisabeth, une haine qui est d’abord dirigée vers elle-même et sa faiblesse symbolisée par Éléonore. Il lui faut ainsi détruire sa faiblesse : détruire Éléonore par tous les moyens et ce même si elle-même ne s’en remettra jamais.
Il semble bien qu’un pouvoir étrange existe sauf qu’il ne semble pas être du fait de la Sorcière présumée mais né de la folie et de la peur : (du moins c’est ainsi que je l’ai interprété) une malédiction provoquée par cet acte de haine qui à poussé cette communauté à détruire une innocente de la pire des manières, ce qui aurait laissé une marque indélébile sur la ville et les infortunés descendants.
Le fait que dans le présent, la descendante des Martin périssent aux cotés de Théa dans un même feu de joie relie enfin les destinées de ces familles de la plus terrifiante des manières.
La situation de Julia reste ambiguë, vu qu’elle se révèle être une personne malveillante, qui symbolise extrêmement bien cette cruauté cachée derrière une fausse bienveillance. Elle m’a fait penser à ces femmes victimes du syndrome de Münchhausen par procuration ou à ces infirmières diaboliques empoisonnant leurs patients, tout en paraissant toujours s’occuper excessivement bien d’eux. Bref, sans aucun doute la vraie sorcière de cette histoire qui s’en sort en toute impunité – comme si tout le reste de la ville avait décidé d’oublier les faits de cette soirée et de ne jamais chercher à comprendre – oui, on aurait pu enquêter sur cet incendie criminelle ayant faire périr deux adolescentes, quand même, le châtiment divin ne passe pas avec des bidons d’essence.