Au milieu des bois de Villers-Cotterêts vivaient un petit garçon et une petite fille qui se rencontraient tous les jours avant d'aller au travail, chacun de son côté. Le garçon ramassait des fagots de bois mort pour son oncle, un bûcheron ivrogne, et la fille pêchait des petites anguilles dans la vase des ruisseaux quand les eaux étaient basses, ou bien attrapait des écrevisses.
- Tu sais, dit une fois la fillette à son ami, je n'aime pas pêcher, mais je suis obligée, mes parents le veulent. Lorsque je vois les poissons étouffer hors de l'eau, mon coeur se serre, et le plus souvent, je les rejette. Pour les écrevisses, c'est autre chose, elles me pincent les doigts, pas de pitié pour elles...
Elle rit, le garçon approuva de la tête, puis soupira :
- Allons, il faut nous séparer, mon oncle me battra si je ne rapporte pas assez de bois mort et de bottes de bruyère.
- On se voit demain ?
- Bien sûr.
Oui, les enfants aimaient se rencontrer ; une parole, un geste, un sourire, les aidaient à supporter leur peine. Ils se voyaient donc chaque jour de la semaine, sauf un, réservé celui-là aux fées et aux enchantements.
Justement, le lendemain d'une de ces journées pas comme les autres, lorsque le garçon retrouva de nouveau la petite fille, il lui dit :
- J'ai fait hier un rêve curieux. J'étais au bord du ruisseau, et je t'ai aperçue dans l'eau. Tu ressemblais à un poisson rouge, avec des écailles d'or sur les côtés. Les autres poissons te faisaient cortège, les goujons, les vairons, les brochets, les carpes...
- C'est drôle, moi aussi j'ai rêvé de toi. Tu étais bien au bord du ruisseau, et tu ressemblais à un chêne vert, vif, élancé. Tous les arbres aux alentours se courbaient pour te saluer, et pourtant, le vent ne soufflait pas.
Ils rirent tous les deux, sans se douter que depuis un moment, l'oncle du garçon les écoutait, caché derrière un arbre.
Lorsqu'il jugea en avoir assez entendu, l'homme se montra, le visage gonflé de colère :
- Je vous y prends à ne rien faire ! cria-t-il. Vous n'êtes que des paresseux !
S'adressant à son neveu, il gronda rudement :
- Tu n'as pas encore fait un seul fagot aujourd'hui ! Regarde ce bois mort à terre, dépêche-toi de le ramasser, et arrache-moi une branche verte pour lier le tout ensemble. Et ne me regarde pas avec des yeux d'ahuri quand je te parle !
- Je ne peux pas arracher du bois vert, mon oncle, j'ai essayé une fois, et j'ai entendu l'arbre se plaindre.
- C'est comme moi, Monsieur, ajouta la petite fille, lorsque j'ai des poissons dans mes paniers, ils se plaignent aussi, bien tristement...
- Bétises ! cria le bûcheron. Tais-toi donc, gamine, c'est de ta faute si mon neveu est un feignant. Mais ça va cesser, je vous le jure ! En attendant, au travail, et vite !
Il agita sa hache d'un air menaçant, avant de s'en aller..
De toute la semaine, le bûcheron ne parla pas de ce qu'il avait entendu de la bouche des enfants. Seulement, la veille du jour d'enchantement, il prépara une nasse d'osier ; la nuit venue, il partit l'insaller dans le ruisseau voisin.
Heureusement, le garçon se méfiait, surveillant son oncle. Au matin, lorsque l'homme quitta sa hutte après avoir avalé de la soupe et une bonne quantité de vin, il le suivit de loin. Au bord de l'eau, le bûcheron se pencha, poussa un cri de joie : le poisson rouge aux flancs d'or s'était pris dans le piège, avec d'autres poissons de sa suite...
Le garçon ne put supporter ce spectacle, il s'élança, bouscula son oncle, surpris. Et la nasse se renversa dans l'eau, les poissons s'échappèrent !
Furieux, le bûcheron saisit son neveu aux épaules, cherchant à le renverser. Mais le garçon tenait ses pieds au sol avec tant de force, qu'on les aurait dit fixés par des racines... L'homme alors attrapa sa hache inséparable. À cet instant, tous les arbres des alentours se mirent à bouger, à remuer si rudement leurs branches que le bûcheron recula.
Il s'enfuit plein de colère et alla chercher de l'aide chez ses compagnons bûcherons.
Ensemble, haches brandies, les abatteurs d'arbres s'élancèrent à l'assaut de la forêt, malgré la résistance des broussailles et des branches qui s'accrochaient à eux pour les empêcher d'avancer davantage.
Pendant ce temps, par bonheur, la petite fille sous forme de poisson rouge filait dans les eaux comme un éclair doré. Elle allait alerter les rivières voisines, la Marne, l'Oise et l'Aisne. Elle les appela à l'aide pour empêcher les arbres de mourir, et aussi les ruisseaux et les étangs qui avaient besoin de ces arbres pour attirer la pluie, cette eau nécessaire aux poissons, aux oiseaux, à toutes les bêtes de la forêt.
Pleines d'indignation, les rivières s'élancèrent hors de leurs lits et inondèrent la forêt ; vaincus, les bûcherons s'enfuirent ou se noyèrent...
Quant à la petite fille, elle resta pour toujours désormais une ondine, une reine des poissons. Le petit garçon, lui, conserva sa forme de Sylvain, un roi de la forêt.
Ils se marièrent plus tard ensemble, et eurent beaucoup d'enfants. |