Une pauvre veuve vivait seule avec son fils dans une misérable chaumière située tout auprès d'une grande forêt. La pauvre femme eût bien désiré envoyer son fils à l'école avec les autres enfants de son âge, mais sa misère ne le lui permettait point, et elle était obligée, chaque jour que Dieu faisait, de dire à son enfant d'aller par les taillis et par les buissons de la forêt pour y faire un fagot. Le bois que son fils Guillaume rapportait était mis en deux parts : la plus grosse était vendue aux gens riches du village, et les petites branches et les brindilles restaient à la maison pour faire bouillir la marmite, en été, et chauffer la chaumière, en hiver.
Un jour, le petit garçon était allé à la forêt à son habitude. Il avait recueilli beaucoup de bois mort, et son fagot était déjà bien gros, quand il entendit de petits cris perçants dans le sentier voisin.
« Qu'est-ce donc, se dit Guillaume, quelque pauvre animal se trouve ici en danger ? »
Et l'enfant courut aussitôt dans le sentier. Un gros renard venait de prendre une jolie petite grenouille verte, et il allait l'avaler, quand Guillaume parut. Le courageux enfant courut sus au renard et le força de lâcher la rainette verte.
« Oh ! le joli animal ! s'écria le fils de la veuve. Je vais le remporter à la maison. »
Il prit délicatement la grenouille, la mit dans sa poche, et, son fagot sur la tête, revint à la maison.
« Mère, vois donc la belle rainette que J'ai trouvée dans la forêt. Je vais la mettre dans un grand vase rempli d'eau, si tu me le permets.
- Que veux-tu faire de cette grenouille, Guillaume ? Tu en trouveras de pareilles par toute la forêt.
- C'est vrai, mais ce ne sera pas celle-ci. »
Et le petit garçon raconta comment il avait sauvé la rainette.
« Alors, garde-la ; mais prends-en bien soin ; il ne serait pas juste de la retenir ici pour la faire mourir. »
A partir de ce jour, l'aisance revint dans la maison de la veuve ; ce fut une grosse bourse qu'elle trouva dans son armoire sans pouvoir connaître qui l'y avait mise, puis un héritage qui lui échut , de sorte que la bonne femme put envoyer son fils à l'école du village, puis à celle de la ville. Et bientôt l'enfant devint si instruit, si instruit, qu'ayant voyagé par toute l'Allemagne et par toute la France, il ne put rencontrer personne en état de lutter avec lui pour le savoir. Vous jugez si sa mère était heureuse, et bien souvent elle répétait à ses voisines du village :
« La grenouille verte trouvée par mon fils dans la forêt doit être la cause de tout le bonheur qui nous arrive. »
Aussi elle aimait beaucoup la petite rainette et elle en avait le plus grand soin.
Un beau jour, le jeune savant revint de son voyage. Après avoir embrassé sa mère, il voulut voir la grenouille verte.
« Gentille petite bête, lui dit-il, je te remercie de tout ce que tu as fait pour ma mère et pour moi. Je veux que tout à l'heure tu te mettes à la place d'honneur et que tu dînes avec nous. »
La rainette se mit à sauter et à danser, comme si elle avait compris le langage de Guillaume.
Puis, lorsque le dîner fut servi, elle sortit de son gîte et vint s'asseoir sur le fauteuil qui lui était destiné.
Mais voilà que tout à coup la grenouille se changea en une jeune fille de toute beauté, aux grands yeux bleus et aux longs cheveux blonds flottant sur les épaules. Jamais il n'avait été donné au jeune savant de voir réunies autant de perfections dans une fille terrestre. L'adorable créature lui dit au bout d'un instant :
« Je suis l'une des fées de la forêt. Je t'avais bien souvent remarqué cherchant du bois mort par les taillis et les buissons, et j'avais admiré ton courage et ton ardeur au travail. Je te voulais du bien, et c'est pour cela que j'ai pris la forme d'une grenouille afin de pouvoir éprouver ton coeur. L'épreuve t'a été favorable et tu es digne de tout ce que j'ai fait pour toi et pour ta mère ; car c’est moi qui avais placé la bourse dans le bahut, c'est encore moi qui vous envoyai l'argent donné comme héritage d'un parent défunt, et c'est moi aussi qui t'ai donné l'esprit de sagesse et de science. Maintenant, j'ai une demande à te faire : je t'aime, veux-tu m'épouser ?
- Belle fée, certes, je voudrais vous prendre pour ma femme, mais nous avons dépensé notre petite fortune pour mon instruction et mes voyages, et il ne nous reste presque rien. Je ne voudrais pas vous rendre misérable.
- Ce n'est que cela qui te retient ? Vois mon pouvoir ! »
Et la fée, saisissant une poignée de fèves placées près de là dans un sac, les changea en beaux louis tout neufs.
Le jeune savant était décidé, et, huit jours après, on célébrait ses noces dans l'église du village voisin.
Grand fut son étonnement, à son retour de la messe, de voir un château merveilleux à la place de la chaumière qu'il avait quittée le matin. C'était encore la fée, sa femme, qui, par sa puissance, avait élevé en si peu de temps le palais splendide où depuis elle vécut heureuse avec son mari pendant de longues années.
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