Il était une fois une jeune fille qui ne faisait pas un pas sans sa cruche. Elle la portait sur la tête, pleine d'eau, de lait ou de noisettes ou encore complètement vide.
Un jour, la jeune fille trouva une aiguille dans une botte de foin et, aussitôt, la mit dans sa cruche. En rentrant à la maison, elle vit son père en train de coudre une ceinture de cuir avec une aiguille en os. Elle lui dit alors :
" Papa, pourquoi couds-tu avec un os ? Pourquoi ne me dis-tu pas : "Fille, donne-moi une aiguille ?" Crois-tu peut-être que je ne t'en donnerais pas ? "
Le père leva les yeux de son ouvrage et dit :
" Ma fille, donne-moi une aiguille ! "
La jeune fille donna l'aiguille à son père et s'en alla. Son père reprit sa couture, mais l'aiguille se cassa très vite.
Peu de temps après, sa fille revint auprès de lui :
" Papa, rends-moi mon aiguille ! "
" Comment veux-tu que je te la rende ? Elle s'est cassée. "
La jeune fille se mit à pleurer :
" Papa, comment as-tu pu casser l'aiguille que j'ai trouvée dans une botte de foin ? "
Pour l'apaiser, son père lui offrit un melon. La jeune fille le déposa aussitôt dans sa cruche et courut chez sa mère.
" Maman, pourquoi ne me dis-tu pas : "Ma fille, donne-moi un melon ?" Crois-tu peut-être que je ne t'en donnerais pas ? "
La mère dit :
" Ma fille, donne-moi un melon ! "
La jeune fille sortit le melon de la cruche, le donna à sa mère et s’en alla. La mère mangea le melon.
Peu de temps après, la jeune fille revint et dit à sa mère :
" Maman, rends-moi mon melon ! "
" Comment veux-tu que je te le rende ? Je l'ai mangé ", répondit la mère.
La fille se mit à pleurer :
" Comment as-tu pu manger le melon que papa m'a donné pour avoir cassé l'aiguille que j'ai trouvée dans une botte de foin ? "
Pour l'apaiser, la mère versa du miel dans la cruche de sa fille. Celle-ci courut chez ses frères, qui étaient en train de construire une nouvelle maison.
" Pourquoi, mes frères, ne me demandez-vous pas un peu de miel ? Croyez-vous peut-être que je ne vous en donnerais pas ? "
Les frères dirent alors :
" Donne-nous un peu de miel, petite soeur ! "
La jeune fille leur versa tout le miel de sa cruche, puis s'en alla.
Les frères le mangèrent, mais à peine se remirent-ils au travail que leur soeur revint :
" Mes frères, rendez-moi mon miel "
" Comment veux-tu que nous te rendions ton miel puisque nous l'avons mangé ? " s'étonnèrent-ils.
La fille se mit à pleurer :
" Mes frères, comment avez-vous pu manger le miel que maman m'a donné pour avoir mangé le melon que papa m'a donné pour avoir cassé l'aiguille que j'ai trouvée dans une botte de foin ? "
Pour la consoler, les frères dirent :
" Ne pleure pas. Nous allons te donner une hache. "
La jeune fille rangea la hache dans sa cruche et courut dans la forêt. Un bûcheron y était en train d'abattre un arbre avec une hache en pierre. La jeune fille lui proposa :
" Bûcheron, pourquoi ne me demandes-tu pas une hache en fer ? Crois-tu que je ne te la donnerais pas ? "
Le bûcheron demanda alors :
" Jeune fille, donne-moi ta hache en fer ! "
La fille sortit la hache de sa cruche, la tendit au bûcheron et s’en alla. L'homme se remit à abattre son arbre, mais le manche de la hache se brisa. La fille revint juste à ce moment.
" Bûcheron, veux-tu me rendre la hache en fer que je t'ai prêtée ? "
Le bûcheron haussa les épaules :
" Je ne peux pas te rendre ta hache. Elle s'est brisée. "
La jeune fille se lamenta :
" Comment as-tu pu briser ma hache ? Mes frères me l'ont donnée pour avoir mangé le miel que ma mère m'a donné pour avoir mangé le melon que mon père m'a donné pour avoir cassé l'aiguille que j'ai trouvée dans une botte de foin. "
" Ne te lamente pas ", dit le bûcheron. " Je vais te donner un gâteau. "
La jeune fille mit le gâteau dans sa cruche et s'en alla. Elle vit des faisans qui grattaient le sol pour chercher des graines. Elle leur dit :
" Faisans, pourquoi grattez-vous la terre à la recherche des graines ? Pourquoi ne me demandez-vous pas du gâteau ? Vous vous dites peut-être que je ne vous en donnerais pas ? "
Les faisans dirent :
" Jeune fille, donne-nous du gâteau ! "
La fille tira le gâteau de la cruche, le mit en miettes pour les faisans et s'en alla. Les faisans picorèrent toutes les miettes juste avant le retour de la jeune fille.
" Faisans, rendez-moi mon gâteau ! " réclama-t-elle.
Les faisans s'étonnèrent :
" Nous ne pouvons pas te rendre ton gâteau, puisque nous l'avons mangé jusqu’à la dernière miette ! "
La jeune fille éclata en sanglots :
" Faisans, comment avez-vous pu manger le gâteau que le bûcheron m'a donné pour avoir brisé la hache que mes frères m'ont donnée pour avoir mangé le miel que ma mère m'a donné pour avoir mangé le melon que mon père m'a donné pour avoir cassé l'aiguille que j'ai trouvée dans une botte de foin ? "
Pour qu'elle cessât de pleurer, les faisans s'envolèrent, chacun laissant tomber la plus belle de ses plumes. La jeune fille ramassa les plumes et les rangea dans sa cruche, puis se mit en route pour son village. Elle rencontra des enfants qui gardaient des moutons et cueillaient des fleurs des champs. La jeune fille leur dit :
" Enfants, pourquoi cueillez-vous des fleurs des champs ? Pourquoi ne me dites-vous pas : "Jeune fille, donne-nous des plumes de faisan ?" Croyez-vous que je ne vous en donnerais pas ? "
Les enfants dirent :
" Jeune fille, donne-nous des plumes de faisan ! "
La fille secoua sa cruche et fit tomber toutes les plumes, puis se dirigea vers son village. Les enfants se mirent à jouer avec les plumes tant et si bien qu'ils les cassèrent jusqu’à la dernière. La jeune fille revint à l'improviste, la cruche sur la tête :
" Enfants, rendez-moi mes plumes de faisan ! "
" Nous ne pouvons pas te les rendre ", répondirent les enfants interloqués. " Elles sont toutes cassées. "
La jeune fille se mit à sangloter :
" Comment avez-vous pu casser les plumes que les faisans m'ont données pour avoir picoré tout le gâteau que le bûcheron m'a donné pour avoir brisé la hache de fer que mes frères m'ont donnée pour avoir mangé le miel que maman m'a donné pour avoir mangé le melon que mon père m'a donné pour avoir cassé l'aiguille que j’ai trouvée dans une botte de foin ? "
" Allons, arrête de pleurer ", dirent les enfants. Ils se mirent à traire des brebis pour remplir sa cruche de lait. La fille retourna au village. Elle vit un chat qui se débattait avec un os.
" Chat, pourquoi te débats-tu avec cet os ? " s'adressa-t-elle à l'animal. " Pourquoi ne me demandes-tu pas un peu de lait ? Crois-tu peut-être que je ne t'en donnerais pas ? "
Le chat ne se fit pas prier :
" Jeune fille, donne-moi du lait ! "
La fille lui versa tout le lait de sa cruche et le chat le lapa jusqu’à la dernière goutte. La jeune fille se mit aussitôt à le lui réclamer :
" Chat, rends-moi mon lait ! "
Le chat n'en fit que rire :
" Je ne peux pas te le rendre, puisque je viens de le boire jusqu'à la dernière goutte ! "
La jeune fille fondit en larmes :
" Mais chat, comment as-tu pu laper tout le lait que les enfants m'ont donné pour avoir cassé les plumes que les faisans m'ont données pour avoir picoré le gâteau que le bûcheron m'a donné pour avoir brisé la hache en fer que mes frères m'ont donnée pour avoir mangé tout le miel que ma mère m'a donné pour avoir mangé le melon que papa m'a donné pour avoir cassé l'aiguille que j'ai trouvée dans une botte de foin ? "
Le chat cracha et s'enfuit. La fille s'élança à sa poursuite, mais le chat grimpa sur un arbre. La fille le suivit dans l'arbre, mais le chat sauta par terre. La jeune fille n'osa pas sauter.
" S'il te plaît, chat, aide-moi à descendre ! " supplia-t-elle.
Mais le chat ne l'aida point.
" Reste dans l'arbre ! Tu sauras pour la prochaine fois qu'il ne faut pas réclamer ce que tu as donné. "
Ainsi, la jeune fille dut rester dans l'arbre, sa cruche sur la tête.
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