Le Faon-marcassin
Conte de l'île de Java
Recherche par Arduinna
Dans un village, au coeur d'une palmeraie, comme il y en
a beaucoup dans la verte île de Java, deux hommes, le grand gros Kasim et le frêle petit
Yanto, se rencontrèrent. Ils étaient voisins et se rendaient tous deux au marché.
Depuis quelque temps, Kasim évitait de voir Yanto, car il ne lui avait pas rendu la hache
qu'il lui avait empruntée quelque temps auparavant. C'est pourquoi Yanto était plutôt
satisfait de croiser enfin son voisin. Il lui cria aussitôt :
- Tu m'as volé ma hache !
Kasim prit un air offensé et répondit :
- Ce sont les vers qui ont mangé ta hache ! Et moi, je ne peux pas te la rendre, puisque
je ne l'ai plus.
Yanto commença à hurler à Kasim qu'il mentait. Mais Kasim jura qu'il disait l'entière
vérité.
Ils se disputèrent tant et tant qu'ils finirent par aller trouver le roi, afin qu'il
tranche leur différend.
Le roi écouta attentivement les deux parties et décida qu'il ne pouvait pas résoudre
seul ce conflit. Aussi appela-t-il à son aide le faon-marcassin. Celui-ci écouta tour à
tour chacun des deux hommes, puis il se tourna vers le roi et il lui fit la requête
suivante :
- Mon roi vénéré, avant de rendre une sentence si grave, permettez-moi d'aller me
baigner dans la rivière. Ensuite, j'aurai l'esprit plus clair.
Le souverain accepta, mais ordonna au jeune faon-marcassin de se dépêcher. L'animal se
baigna dans les eaux fraîches de la proche rivière tout en s'efforçant de réfléchir.
A un moment donné, son regard s'évada vers le champ de riz voisin. Il le regarda avec
attention et vit qu'à la place des pousses tendres ne s'étendaient désormais plus que
des cendres.
Il y avait peu de temps qu'un incendie avait ravagé le champ. Cela donna une idée au
faon-marcassin pour dénouer le différend de ces deux voisins. Tout mouillé, il bondit
hors de l'eau et commença à se rouler dans le champ calciné. Après quoi, il se
retrouva noir comme un Maure. Personne ne pouvait le reconnaître ainsi maculé.
Lorsqu'il revint se présenter devant le roi, celui-ci voulut faire aussitôt chasser cet
importun. Mais le faon-marcassins s'essuya le visage et déclara :
- Mon roi vénéré, c'est moi, votre ami ! Vous avez escompté que je revienne de la
rivière propre et reposé. Et je pensais de même. Mais il s'est passé quelque chose de
très inattendu. La rivière était en proie aux flammes. J'ai bondi dedans, afin de
tenter de les éteindre et, ce faisant, je me suis tout barbouillé. Pas étonnant
qu'ainsi maculé et plein de cendres, vous ne m'ayez pas reconnu.
Le roi se fâcha contre lui et lui répondit qu'il ne croyait pas un traître mot de
toutes ces balivernes. Le faon-marcassin se réjouit. Il regarda de tous côtés et, une
fois de plus, il se prosterna devant son souverain incrédule.
- Vous avez compris, Majesté, que j'avais inventé cette histoire. Ici se trouve un homme
affirmant que la hache qu'il a empruntée a été dévorée par les vers et qu'il ne peut
donc la rendre à son voisin.
Le faon-marcassin se tourna sévèrement vers Kasim et continua à parler :
- Je pense que c'est une sottise équivalente à celle que j'ai inventée en disant que
j'ai sauté dans une rivière en flammes et que je m'y suis roulé dans les cendres.
Comment des vers pourraient-ils ingurgiter une hache de métal ?
Dans la salle d'audience, le silence se fit immédiatement. Le roi tint compte de la sage
comparaison du faon-marcassin et rendit son jugement. Kasim dut restituer immédiatement
la hache à Yanto, avec ses plus humbles excuses.
Le roi récompense très généreusement le faon-marcassin pour son judicieux conseil et
le nomma juge principal de la jungle. C'est ainsi que le faon-marcassin acquit le plus
grand respect de la part des autres animaux.
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