Le poisson enchanté
Conte de l'île de Sumatra
Recherche par Arduinna
Au nord de Sumatra, dans un petit village, vivait un
jeune pêcheur solitaire. Il attrapait des poissons qu'il faisait sécher au soleil et
qu'il portait ensuite au marché de la ville.
Un jour, le pêcheur se rendit en barque jusqu'aux abords de Malaka, mais il demeura
bredouille. Le vent se levait et il jugea plus prudent de rentrer chez lui. Il ramena ses
filets et, là, dans une maille, il vit frétiller un tout petit poisson.
Il se réjouit d'avoir au moins, ce soir, de quoi calmer sa faim. Il sortait son couteau
et s'apprêtait à tuer sa prise lorsqu'il entendit une petite voix tendre :
- Pêcheur, pêcheur, ne me tue pas, je suis encore si jeune ! Emmène-moi chez toi,
creuse pour moi un petit lac et attends quelque temps pour voir ce qui se passe...
Le pêcheur prit peur et s'écria :
- Tu es sans doute le diable pour t'exprimer ainsi à voix humaine ! Si je t'épargne, je
vais mourir de faim.
- Fais ce que je te demande et je te récompenserai amplement. Tout ce que tu souhaiteras,
je l'accomplirai, déclara le frétillant petit poisson.
- Si ce que tu me dis est vrai, transforme ma pauvre vieille paillote en une belle demeure
!
- Bien, si tu le veux. Rentre chez toi. Fais ce que je t'ai dit et va dormir. Au matin, tu
verras...
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le lendemain, le pêcheur se réveilla sur une moelleuse
couche de soie, dans la chambre somptueuse de sa nouvelle maison. Il se leva et sortit au
jardin où, dans le petit lac, nageait le petit poisson enchanté.
Le poisson lui demanda alors :
- Pêcheur ! N'es-tu pas satisfait ? Au lieu de le remercier, le pêcheur se renfrogna et
dit :
- Comment pourrais-je être satisfait, alors que je suis seul dans cette grande demeure ?
J'aimerais encore que tu m'envoies une épouse, aussi belle qu'une nymphe de la mer !
Le poisson se contenta de nager en rond silencieusement, puis il fit trois bonds au-dessus
de la surface avant de déclarer de sa voix humaine :
- Bien, pêcheur ! La vie n'ayant pas de prix, j'accomplirai encore ton voeu peu modeste.
Puis il disparut sous les eaux. Le pêcheur se promena toute la journée dans sa nouvelle
maison et dans son magnifique jardin. Mais il n'y rencontra pas de belle créature.
Déçu, il s'étendit le soir sur sa couche et s'endormit.
Au cours de la nuit, il fut éveillé par la sensation d'un contact sur son front.
C'était une main fraîche comme de l'eau et sentant le poisson. Le pêcheur découvrit
alors à ses côtés une jeune femme merveilleuse qui s'adressa à lui en ces termes :
- Je suis le poisson enchanté auquel tu as épargné la vie. À partir d'aujourd'hui, je
m'efforcerai d'être une épouse dévouée et fidèle.
Le pêcheur se précipita au petit lac du jardin. Et il dut constater que le poisson ne
s'y trouvait plus. Alors, il vécut heureux en compagnie de sa femme-poisson.
Peu de temps après, un fils naquit, qu'ils nommèrent Sam. La jeune mère pria son époux
de ne jamais dire à son fils qu'elle était un poisson. Et le pêcheur lui en fit la
promesse solennelle.
Avec le temps, le pêcheur devint un homme puissant qui possédait la plus prospère des
plantations de bananiers. Son fils s'était mué en un solide jeune homme qui accompagnait
son père à la plantation, ou à la pêche, et aidait sa mère au jardin. Puis, survint
une période de sécheresse. Le soleil brûlait et les gens tombaient de fatigue. À la
plantation, Sam ne put supporter la chaleur et rentra à la maison plus tôt qu'à
l'accoutumée.
Comme il avait très faim, il se précipita sur la bouillie de gruau préparée dans un
plat, sur la table, et il mangea tout, avant le retour de son père.
Plus tard, quand il rentra, le pêcheur se mit en colère contre son fils :
- Tu ne sais donc pas que ta mère avait préparé cette bouillie pour moi ? On voit bien
que tu n'es que le fils d'un stupide poisson !
Sa femme, qui franchissait justement le seuil de la porte, l'entendit et déclara :
- Je vois qu'il est temps pour moi de t'abandonner, puisque tu n'as pas tenu ta promesse.
À présent, ce qu'il va advenir ne sera pas ma faute.
- Que pourrait-il m'arriver ? Je n'ai peur de rien ! claironna le pêcheur.
Le ciel se couvrit. Un oragese déclencha soudain et une pluie torrentielle balaya l'homme
dans les profondeurs des eaux. Il se forma une énorme vague qui emporta Sam au sommet de
l'une des proches montagnes.
Lorsque les éléments déchaînés se calmèrent, la paix se répandit à nouveau à la
surface des eaux. Il ne restait, au beau milieu de ce grand lac, qu'une île minuscule,
sur laquelle le fils du poisson enchanté avait trouvé refuge. On dit qu'il y vécut
heureux jusqu'à la fin de ses jours. |
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