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Comment le crocodile vint au monde
Conte de l'île de Sulawesi
Recherche par Arduinna

Aux abords du village de Muna, au coeur de l'île Sulawesi, vivait une jeune fille qui se nommait Kokanda. Elle était vraiment repoussante. Non seulement son visage était laid, mais de ses pieds émanait une odeur nauséabonde. C'est pourquoi, jusque-là, elle n'avait pas réussi à trouver de mari. Kokanda vivait donc dans une petite maison isolée, au bord de la rivière, et sa solitude lui pesait terriblement.

Dans le village, ses voisins la plaignaient mais aucun d'entre eux ne désirait vivre à ses côtés, à cause de sa disgrâce et de l'odeur putride qu'elle dégageait. Ils se contentaient de déposer chaque matin, sur le seuil de sa maisonnette, un peu d'eau dans une cruche et de la nourriture dans une écuelle.
Un jour, Kokanda s'endormit sur la berge de la rivière. Une blanche apparition surgit dans son rêve et lui dit :
- Je sais ce qui te tourmente, Kokanda. Et je souhaite te venir en aide. Adresse-moi une prière et plonge dans le courant. Aussitôt, tu te transformeras en un terrifiant animal aquatique aux dents acérées. Mais, lorsque tu remonteras sur la berge, tu redeviendras Kokanda. Alors, tu pourras choisir celui avec lequel tu désires vivre. Je suis persuadée que cette métamorphose te réussira.
Dans son rêve, Kokanda remercia l'apparition et lui promit de lui dédier une prière.
Au matin, lorsque ses voisins approchèrent de sa maisonnette, ils furent étonnés de la trouver si tôt assise sur le seuil. Elle leur cria :
- Arrêtez ! Très bientôt, je serai morte, et ceux qui se seront moqués de mon vilain visage et de mes pieds puants seront ustement punis.
Mais ses voisins ne la crurent pas et annoncèrent aux autres villageois que Kokanda avait perdu l'esprit.
Aussi furent-ils stupéfaits lorsque, le jour suivant, la nouvelle courut que Kokanda était, en effet, bien morte.
Ceux à qui la laideur de la jeune fille répugnait le plus ne la regrettèrent pas. Cependant, ils aidèrent les villageois à préparer les obsèques.
Un cortège entier s'en fut vers la maisonnette poser la jeune infortunée sur une civière et attendre le coucher du soleil, avant de pouvoir ensevelir la malheureuse, conformément à la coutume. Dès que le soleil eut disparu, les gens pénétrèrent dans la demeure et, à leur plus grand étonnement, constatèrent que Kokanda ne gisait plus sur le brancard. Ils cherchèrent dans tous les coins. Elle s'était volatilisée.
Alors, les voisins se souvinrent des mots effrayants prononcée par la jeune fille, avant son décès. Emplis de crainte, ils commencèrent à prier Dieu, trois jours durant. Puis ils rentrèrent chez eux.
Le septième jour, une stupéfiante nouvelle parcourut le village. Un jeune pêcheur avait aperçu Kokanda se promenant sur la berge. Personne ne prêta foi à ses propos.
Cependant, quelques jeunes gens, poussés par la curiosité, se cachèrent dans les roseaux, afin de voir si, par hasard, la jeune fille apparaissait.
Comme au bout d'un long moment rien ne se passait, ils sortirent de leur cachette et réprimandèrent le pêcheur qui leur avait fait perdre leur journée.
À peine furent-ils éloignés de la berge de quelques mètres qu'ils entendirent un puissant clapotis à la surface de l'eau. Comme un seul homme, ils se retournèrent, le temps d'apercevoir deux pieds disparaître sous l'eau. À leur puanteur et leur vilain aspect, ils comprirent que Kokanda venait de plonger.

Au village, on parla longtemps de la jeune fille. Puis de nouveaux soucis et de nouvelles joies la chassèrent des esprits.
Après une période de quarante-six jours de deuil, les voisins de Kokanda fiancèrent leur fille unique, la belle Yamina.
Ce soir-là, la lune brillait haut dans les cieux et, sous sa lumière d'argent, le jardin n'était plus que débauche de lampions colorés et monceaux de fleurs dans des vases peints. La musique incitait à la danse et les tables croulaient sous les mets les plus fins. Soudain, au milieu de la fête, survint un incroyable silence.

Les danseurs firent cercle et, effrayés, virent apparaître une femme repoussante. Kokanda se tenait devant eux, comme jaillie de terre. Elle prit la main du fiancé de Yamina et l'attira dans une ronde. À la suite de créatures aquatiques puissantes et fantomatiques surgies sur la berge, elle se mit à danser avec le jeune homme.
Le hurlement de Yamina ramena son père à la réalité. Il prit un gourdin et, avec quelques-uns des convives, il voulut chasser Kokanda. Celle-ci s'enfuit vers la rivière, tenant fermement son partenaire par la main.
Furieux, les gens lancèrent des pierres à la jeune fille, qui s'empresse de plonger dans l'eau, entraînant à sa suite l'infortuné jeune homme. Une nuit profonde s'abattit sur le village. La lune se cacha derrière les nuages et les villageois, troublés, demeurèrent éparpillés sur la rive. Soudain, le tonnerre se mit à gronder et, dans la lueur d'un éclair, les villageois virent apparaître à la surface des eaux l'énorme tête d'une créature aquatique aux dents acérées, qui leur dit d'une voix humaine :
- Je suis Kokanda et je suis venue vous réclamer ce que vous m'avez refusé. Que tous ceux d'entre vous qui m'ont humiliée sachent que je les punirai !
Les habitants du village n'avaient jamais vu un animal pareil. Ils le baptisèrent crocodile et reçurent sa menace en plein coeur. À partir de là, nul n'osa se baigner dans la rivière après le coucher du soleil et chacunse garda même d'en approcher.


 

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