Les deux génies
Recherche par Arduinna
Bien haut dans la montagne, là où ne parvient pas
l'écho de la voix humaine, il y avait jadis un petit temple fait de poutres de bois à
moitié pourries, et qui abritait un puissant esprit, le génie de la montagne. C'était
un esprit orgueilleux. Comme il se rengorgeait devant son « collègue », celui d'en bas,
le génie gardien de la ville ! L'esprit de la montagne aimait briller auprès de lui et
même aussi le vexer. Un jour, ce fut son anniversaire : les gens des alentours lui
apportèrent leurs offrandes, toutes sortes de bonnes choses à manger. L'esprit de la
montagne décida alors d'inviter son « ami » pour lui faire voir tout ce qu'il avait
reçu. « Quand il verra comment les gens m'honorent », pensait-il, « je veux bien
parier qu'il en pâlira de jalousie ! »
L'autre, en arrivant, sentait déjà de loin la bonne odeur de toutes les sucreries et la
fumée de l'encens. Il pénétra dans le temple et vit son rival vautré au milieu de
toutes ces bonnes choses. Il faisait le blasé. Le génie de la ville n'arrivait pas à
formuler ses salutations, tant la salive lui inondait la bouche.
- Je ne sais pas ce qu'ils ont, ces gens, disait le génie de la montagne, faisant
semblant de ne pas entendre gargouiller le ventre de son invité. Ils arrivent toujours
tous, tout à coup, et ils prient, Esprit par-ci, Esprit par-là, Bon Génie, aide-moi ;
délivre-moi de mes ennuis, fais que ma récolte de riz soit meilleure, jette un sort à
la vache de mon voisin - c'est toujours pareil chaque fois. Bien sûr, pour cela, ils
m'apportent bien quelque chose, mais pour te dire la vérité, poursuivit l'esprit de la
montagne d'un ton dégoûté, moi j'en ai assez de tous ces gâteaux au miel, je suis
lassé de cette fumée d'encens qui commence à me faire tourner le coeur. Et il se mit à
tousser avec affectation.
Il avait à peine fini de parler que devant ce temple où il conversait avec le génie de
la ville, retentirent les pas d'un cheval. Devant la porte ouverte, en effet un cheval
s'arrêta. Il était monté par un simple garçon de la campagne. Le jeune homme resta en
selle, tendant le cou pour regarder à l'intérieur.
- Comment, on ne descend pas de cheval pour venir s'incliner avec déférence devant
l'esprit de la montagne, comme il convient à un mortel ? dit le génie gardien de la
ville, piquant au vif son orgueilleux ami. A ta place, je lui apprendrais la déférence,
à cet impie !
Le génie de la montagne se vexa, et pour impressionner son rival de la ville, il murmura
une formule magique. Aussitôt le ciel se voila de nuages noirs, des éclairs
déchirèrent le voile sombre et le tonnerre gronda à faire trembler la montagne.
« Quel temps ! » s'exclama le jeune homme, qui sauta à bas de son cheval et entra dans
le temple avec sa bête, pour s'abriter de la pluie. Mais où attacher le cheval ? Il
regarda autour de lui, et son regard tomba sur la statue en argile du génie de la
montagne.
« Voilà ce qu'il me faut », se dit le garçon, qui jeta la bride autour du cou de la
statue.
« Quelle audace ! » s'exclama, furieux, le génie de la montagne. « Attends, je vais
t'apprendre la politesse ! » Vite, il bredouilla une autre formule magique. Tout fut
alors plongé dans une obscurité si profonde que l'on ne pouvait rien voir à un pas, le
vent hurlait, le ciel déversa des torrents d'eau tandis que la terre tremblait sous les
pieds, comme si c'était la fin du monde. Soudain un terrible coup de tonnerre effraya si
fort le cheval qu'il s'emporta, s'agita, en renversant la statue du génie de la montagne.
La statue, en s'écrasant par terre, fut émiettée en mille morceaux.
« Oh là là ! Quelle affaire ! » s'exclama le génie gardien de la ville, en voyant
comment avait fini son trop orgueilleux rival. « Pourvu qu'il ne m'arrive pas un autre
malheur, maintenant ! » Et il prit ses jambes à son cou pour s'éloigner au plus tôt de
cet endroit malsain.
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