La Demoiselle Nacrée
Recherche par Arduinna
Il y avait une fois, dans une famille, trois soeurs,
trois jeunes filles qu'on appelait la Demoiselle Dorée, la Demoiselle Argentée et la
Demoiselle Nacrée. Elles étaient toutes les trois d'une très grande beauté, et l'on
n'eût pas trouvé à la ronde de garçon qui n'eût pas souhaité la main de l'une ou
l'autre des trois. Seulement, la Demoiselle Dorée et la Demoiselle Argentée avaient de
grandes prétentions, et ne pensaient qu'à un fiancé riche et bien né, tandis que la
Demoiselle Nacrée souhaitait que son futur ait avant tout le coeur honnête et bon.
Un beau matin, la Demoiselle Dorée prit son petit seau d'or pour aller chercher de l'eau.
Elle ouvrit la porte et fit un bond d'horreur. Sur le seuil gisait un mendiant tout
enveloppé de loques, si bien qu'on n'en voyait même pas bien le visage.
- Qu'est-ce que tu fais là, espèce de mécréant ? s'écria la Demoiselle Dorée.
Ote-toi de mon chemin !
- Aide-moi un peu, demoiselle, répondit le mendiant d'un ton nasillard, avec mes vieux
os, je me relève difficilement.
- Aide-toi toi-même, personne ne t'a demandé de te mettre là ! déclara la péronnelle,
le nez en l'air. Mon père veut de leau à mettre dans son vin, ma mère en a besoin
pour son thé et moi, je veux me laver les cheveux. Soit je t'enjambe, soit je te marche
dessus, mais je ne te toucherai pas. Et j'ai toujours fait ce que j'ai voulu !
Elle fit comme elle avait dit. Elle enjamba le mendiant, mais ce faisant elle lui marcha
sur la main. Le mendiant releva la tête. Ses yeux sombres lancèrent des éclairs,
examinant la jeune fille d'un air sévère. Quand la Demoiselle Dorée revint à la
maison, le mendiant avait disparu.
Le lendemain matin, la Demoiselle Argentée sortit de la maison, son petit seau d'argent
à la main, pour aller chercher de l'eau. Sur le seuil, le même mendiant était encore
affalé. La jeune fille recula.
- Qu'est-ce que tu fais là sur notre seuil, roulé dans tes haillons dégoûtants ?
Ote-toi de mon chemin !
- Cela ne peut se faire si vite, belle enfant, répondit le mendiant d'un air contrit.
Tous les os de mon corps sont douloureux. Aie, je te prie, la gentillesse de m'aider à me
relever.
- Tu n'es pas fou ? demanda la jeune fille en se retirant avec répugnance. Te donner la
main, à toi, je te demande un peu ! Ote-toi de là, te dis-je, sinon je te marche dessus.
Et déjà, sans attendre, elle enjamba le mendiant. Ce faisant, elle lui heurta la tête
de son seau d'argent. Des yeux de braise regardèrent fixement la jeune fille, puis le
mendiant disparut.
Au matin du troisième jour, c'est la Demoiselle Nacrée qui alla puiser de l'eau. Elle
portait un petit seau de nacre qui, au soleil, lançait toutes les couleurs de
larc-en-ciel. En voyant le mendiant tout pelotonné devant la porte, elle fut
surprise.
- S'il vous plaît, pourriez-vous me laisser un peu de place pour passer ? lui
demandait-elle, et sa voix était pleine de timidité.
- Volontiers, mais ce n'est pas si facile. Tous mes os me font mal. Tout seul, je ne
pourrai pas me relever.
- Tenez, je vais vous aider, dit aimablement la Demoiselle Nacrée. Elle tendit la main au
mendiant, mais comme c'était difficile, de soulever un tel poids ! Pour un peu, elle
serait tombée elle-même. Elle se disait qu'elle ne pouvait pas faire voir au malheureux
combien il était lourd pour elle, pour ne pas le vexer. Alors elle sourit et dit :
- Vous voyez, grand-père, vous êtes resté un peu trop longtemps sur la pierre, cela
vous a engourdi, mais bientôt vous vous sentirez frais et dispos.
- Pour un peu je te croirais, rien qu'à t'écouter, répondit le mendiant en hochant la
tête. Et pour ta bonté je te souhaite de rencontrer le plus riche fiancé de la région.
- Riche ou pas riche, dit la Demoiselle Nacrée en riant, l'important c'est qu'il ait le
coeur bon !
- Il s'en trouve de pareils, bredouilla le mendiant qui boitillait toujours aux côtés de
la jeune fille, l'accompagnant jusqu'à la fontaine. La Demoiselle Nacrée prit de l'eau
avec un récipient et quand son seau fut plein, elle voulut le mettre sur son épaule.
- Attends, je vais t'aider à le soulever, dit le mendiant en se précipitant et boum,
patatras ! Il renversa le seau et toute l'eau se répandit par terre :
- Ne t'en fais pas, grand-père, riait la jeune fille, moi-même, j'ai renversé plus
d'une fois mon seau ! Elle le remplit à nouveau, et le mendiant le souleva.
- Un peu plus haut, grand-père, si ce n'est pas trop lourd pour vous, le pria-t-elle.
- Volontiers, dit le mendiant qui souleva le seau si haut que la jeune fille ne pouvait le
prendre pour le déposer sur son épaule.
- Ne vous fâchez pas, grand-père, mais comme ça le seau est trop haut, je n'y arrive
pas, lui dit-elle sur un ton d'excuse.
- Cela ne fait rien, essayons encore, dit le mendiant qui pencha tellement le seau qu'il
inonda le dos de la jeune fille. Je suis désolé d'être si maladroit, dit-il, navré.
- Mais non, vous n'êtes pas maladroit. Cela arrive à tout le monde, de manquer quelque
chose, lui dit la jeune fille pour le réconforter. Le mendiant la regarda, pensif. Il
souleva une fois de plus le seau et patatras ! le seau lui glissa des mains et tomba, se
brisant en mille morceaux. Cette fois, la jeune fille ne put se contenir et fondit en
larmes. Le mendiant l'examina encore très attentivement.
- Ce n'est pas votre faute, grand-père, lui dit-elle en sanglotant, vous vouliez m'aider,
mais maintenant, à la maison, on va se fâcher. Un seau de nacre comme celui-là, on n'en
trouve plus nulle part !
Dans les loques déchirées, les yeux sombres eurent un éclat de tendresse.
- Peut-être pourrai-je te le réparer, ton seau, dit le mendiant d'une voix douce. Vite
il rassembla tous les morceaux de nacre, les remit en place et en un clin d'oeil, le seau
était là devant la jeune fille, tout rempli d'eau claire. Le mendiant lui aussi s'était
changé soudain. Il se redressa avec souplesse, souleva aisément le seau et le déposa
délicatement sur l'épaule de la jeune fille en lui disant d'une voix ferme et
mélodieuse au point d'en faire l'frissonner la jeune fille :
- Tu pourrais faire quelque chose pour moi ?
- Tout ce qui sera en mon pouvoir, répondit de bonne grâce la Demoiselle Nacrée. Je ne
sais ce que j'aurais fait, sans votre aide. Maman n'aurait pas cessé de me gronder à
propos de ce seau brisé.
- Veuille demander chez toi qu'on me laisse passer la nuit à la cuisine.
- Cela, je ne sais pas si maman le permettra, dit la jeune fille, assez ennuyée. Elle ne
supporte pas les mendiants. Mais je vais l'en prier.
- En paiement, tu peux lui laisser ce qu'elle trouvera dans le fond de ton seau, dit en
riant le mendiant à la jeune fille fort étonnée. Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir au
fond du seau ? Cet homme-là n'est pas un mendiant ordinaire. Ce seau de nacre était
irréparable, et en un clin d'oeil il était comme neuf. Qui sait si ce n'est pas un
esprit bienfaisant ?
La jeune fille reporta enfin son seau d'eau à la maison. Elle demanda à sa mère si elle
ne pourrait laisser un vieux mendiant passer la nuit au chaud, à la cuisine.
- Pas ce vieux pauvre dégoûtant qui se couche depuis trois nuits sur notre seuil, sans
doute ? demanda la mère, déjà irritée. La Demoiselle Nacrée baissa la tête, et alla
vider son seau d'eau dans une grande bassine de cuivre. Quelque chose tinta, et au fond de
la bassine on vit briller de l'or. En silence, elles se regardaient l'une l'autre. La
mère plongea la main dans l'eau et en retira une lourde bague d'or. La Demoiselle Nacrée
se rappela les paroles du mendiant.
- C'est pour vous, maman, pour payer la nuit du mendiant dans la cuisine, dit-elle bien
vite.
Un mendiant qui distribue de l'or ! s'étonna la mère. Eh bien, qu'il dorme cette nuit
dans la cuisine !
Au cours de la soirée, comme d'habitude, toute la famille était réunie. Le père buvait
du thé, la mère filait la laine de ses moutons et les filles bavardaient à propos de
tout et de rien. Bientôt la conversation tomba sur les prétendants.
- Moi, je veux au moins un prince indien, sinon je ne me marie pas, déclara la Demoiselle
Dorée.
- Il ne doit pas précisément être indien, notre prince me suffirait, estima la
Demoiselle Argentée. Et toi, qui voudrais-tu épouser ? demanda-t-elle à la troisième
soeur. La Demoiselle Nacrée gardait le silence.
A ce moment-là, la porte s'ouvrit et le mendiant fit son entrée. Il dit :
- Je connaîtrais bien un fiancé pour la Demoiselle Nacrée. Le prince Mipam lui-même
serait heureux d'épouser une si bonne et si belle demoiselle.
- Qui est-ce ce prince Mipam ? demandèrent les deux premières soeurs. Il est aussi
puissant et aussi riche que le prince indien ?
- Peut-être est-il encore plus riche et plus puissant, dit le mendiant d'un air
énigmatique en appuyant le regard de ses yeux sombres sur la Demoiselle Nacrée, et
s'adressant particulièrement à elle, il poursuivit :
- Mipam serait heureux de t'épouser et avec lui tu serais heureuse comme avec personne
d'autre. Crois-moi, Demoiselle Nacrée. Quand je m'en irai d'ici, suis les traces de mon
bâton et je te mènerai jusqu'à lui. Le veux-tu pour époux, Demoiselle Nacrée ?
La jeune fille, se rappelant le seau de nacre miraculeusement réparé, fit un signe de
tête d'assentiment. Le mendiant fit demi-tour et passa la porte. La Demoiselle Nacrée se
hâta à sa suite.
- Où cours-tu? Tu es devenue folle ? lui cria sa mère. Un mendiant ne peut te procurer
comme époux qu'un autre mendiant.
Mais la Demoiselle Nacrée était déjà sur le seuil de la maison. Le mendiant avait
disparu. Seule une rangée de trous sombres, dans la terre, était visible dans le clair
de lune, et se perdait au loin. La jeune fille courut en suivant cette piste.
- Eh bien, va si ça te chante ! lui cria de loin sa mère courroucée. Mais dans ce cas
ne reviens plus jamais à la maison !
La Demoiselle Nacrée suivit toute la nuit les traces du bâton du mendiant. Enfin la lune
pâlit, et à l'horizon apparurent les lueurs roses de laurore. La jeune fille
constata qu'elle était arrivée à une vaste prairie. Un berger y gardait des milliers de
moutons.
- Est-ce qu'un vieux mendiant n'est pas passé par ici ? lui demanda la Demoiselle
Nacrée.
- Non, mais notre seigneur Mipam est passé. Tous ces moutons lui appartiennent.
La jeune fille poursuivit son chemin et bientôt elle se retrouva au sein d'un énorme
troupeau de yaks.
- Tu n'as pas vu passer par ici un vieux mendiant ? demanda-t-elle au pasteur.
- Je n'ai vu personne d'autre que notre seigneur Mipam, qui vient de passer. Ces yaks sont
à lui.
« Où était passé le mendiant ? » se demandait la jeune fille. « Ne serait-il pas
lui-même le seigneur Mipam ? Alors je me marierai probablement avec un vieux mendiant ?
» Elle marcha donc, allant toujours plus loin. Elle rencontra un troupeau de chevaux.
- N'as-tu pas vu passer par ici un vieux mendiant ? demanda-t-elle au meneur de troupeau.
- Pas un mendiant, non, c'est notre seigneur Mipam qui est passé par ici il y a un
instant. Ces chevaux lui appartiennent.
Pendant ce temps-là le soleil était sorti de la brume matinale, et éclairait tout le
paysage. La jeune fille s'arrêta soudain, émerveillée. Devant ses yeux se dressait un
admirable château d'or, tout scintillant dans les rayons de l'astre du jour. Devant
l'entrée, un vieillard aux cheveux blancs l'attendait en souriant.
- C'est un temple à Bouddha ? demanda timidement la jeune fille.
- Mais non, lui répondit affublement le vieillard, c'est le palais du seigneur Mipam.
Notre maître t'attend.
La jeune fille s'avança. Là où son pied touchait la terre, aussitôt poussaient des
fleurs par touffes, qui s'épanouissaient et embaumaient d'un parfum divin. Quand elle
entra dans le palais, un immense tapis de fleurs éclatantes se déroula devant ses pas,
et un beau jeune homme venait tout droit à sa rencontre. Ses yeux sombres brillaient de
bonheur, et une série de serviteurs le suivaient, avec de nombreux présents tous plus
magnifiques les uns que les autres. Le beau jeune homme prit doucement la jeune fille par
la main en lui disant :
- Je suis Mipam. Je suis ce vieux mendiant. Me prendras-tu pour époux comme tu l'as
promis ?
La Demoiselle Nacrée avait les yeux fixés sur le beau jeune homme, et ne pouvait en
détacher son regard. Elle crut que son coeur allait éclater de bonheur. Comme en un
rêve, elle fit signe que oui, et Mipam, la tenant toujours par la main, l'introduisit
dans son palais. Là, elle se revêtit une robe qui avait toutes les couleurs brillantes
de l'arc-en-ciel, se para de coraux et de pierres précieuses scintillantes, puis elle
prit place sur un siège d'argent, Mipam s'assit sur un siège d'or, et ils choisirent le
jour heureux de leurs noces.
Après ? Eh bien après, ils ont vécu très longtemps, heureux, car ils sont restés
très amoureux l'un de l'autre.
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