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La jarre et les singes

Il était une fois deux amis nommés Yeché et Kunka.
Il arriva que Yeché dut s'absenter de chez lui pour quelques jours. Il alla trouver son ami Kunka et lui dit :
- Je dois m'absenter pour quelques jours, et je crains qu'en mon absence l'on vienne voler ma jarre contenant mes économies, en pièces d'or. Pourrais-tu avoir l’obligeance de me garder cette jarre ?
- Volontiers, répondit Kunka, qui n'était pas d'une honnêteté irréprochable.
Quand Yeché fut parti, Kunka prit la jarre et en déversa le contenu sur le sol pour s'en réjouir la vue. Comme elles étaient belles, les pièces d'or ! Comme elles brillaient et comme elles tintaient ! Kunka les caressait, il ne pouvait en détacher son regard, et soudain il lui sembla qu'il aurait bien de la peine à s'en séparer.
« Après tout », se dit-il, « Yeché en a moins besoin que moi. » Il cacha les pièces d'or chez lui, et remplit la jarre de sable, puis il attendit le retour de son ami.
- Mon cher ami, il s'est passé une chose terrible en ton absence, lui dit dès l'abord Kunka, le visage consterné. Imagine-toi que le lendemain de ton départ toutes tes pièces d'or se sont changées en sable.
- C'est chose bien étrange, répondit Yeché qui n'était pas dupe. Jamais je n'ai entendu parler d'une chose pareille. Mais que pouvait-il faire ? Il prit donc la jarre de sable, et il rentra chez lui.
Puis un jour, ce fut au tour de Kunka de devoir s'absenter de chez lui. Mais il avait du souci à l'idée de laisser seuls ses trois enfants encore en bas âge. Où les mettre ? Ils ne peuvent pas rester à la maison, sans surveillance ! Alors il alla trouver son ami Yeché et le pria de garder ses enfants durant les quelques jours de son absence.
- Pourquoi pas, compère, dit Yeché, tu peux les laisser chez moi, je veillerai sur eux comme sur mes propres enfants.
Quand Kunka fut parti, Yeché se rendit au marché pour y acheter trois jolis petits singes. Il les ramena chez lui et leur donna les noms des trois enfants de son ami. Au plus âgé, Sônam, il apprit à fermer la porte, au moyen, Padma, il montra comment balayer la chambre et au plus jeune des trois, qui avait reçu le nom de Lhamo, il enseigna l'art de servir le thé.
La veille du retour de Kunka, Yeché emmena les enfants de son ami et les cacha. Puis il rentra chez lui, attendant impatiemment le retour de son ami.
Dès son arrivée, la première question de Kunka fut pour demander où étaient ses enfants.
- Mon cher ami, il s'est passé une chose terrible en ton absence, se lamenta Yeché, et des larmes grosses comme des petits pois coulaient sur son visage. Je dois t'annoncer une nouvelle épouvantable. Imagine-toi que le lendemain de ton départ, en me levant, je restai figé de stupeur - tes enfants s'étaient changés en singes !
- Ce n'est pas possible ! s'écria Kunka, la gorge serrée de frayeur.
- C'est pourtant vrai, tu le verras bien toi-même, dit Yeché sur un ton lugubre.
- Sônam, où es-tu ? Viens fermer la porte ! appela Kunka.
- J'arrive, père, grogna l'aîné des singes qui accourut fermer la porte.
Kunka n'avait plus une goutte de sang dans les veines.
- Padma, viens donner un coup de balai ! cria-t-il.
- Tout de suite, père ! hurla le deuxième singe, qui prit lestement le balai et se mit en devoir d'en donner un coup au plancher.
« Hélas, il en est bien ainsi ! » se dit Kunka, accablé, mais il fit encore un effort pour appeler d'une voix angoissée :
- Lhamo ?
- Tu veux du thé, père ? demanda le plus jeune singe, je t'en apporte tout de suite !
- C'est terrible, soupira Kunka, jamais je n'aurais cru que des enfants puissent se changer en singes !
- C'est tout aussi possible que des pièces d'or qui se changent en sable, dit Yeché sur un ton détaché.
- Mais voilà, cher ami, avoua Kunka sur un ton de grande humilité, c'est que ton or, à vrai dire, ne s'était pas changé en sable !
- J'aime te l'entendre dire, répondit Yeché, et il faut que je te confesse, cher ami, que tes enfants ne sont pas plus devenus des singes que mon or n'était devenu du sable !
Alors Kunka rapporta l'or à son propriétaire, et Yeché lui rendit ses enfants. Les deux amis se sont embrassés - et l'incident était clos !


 

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