Comment l'Empereur de Jade a puni
la cupidité.
Recherche par Arduinna
Un novice bouddhiste priait dans un temple de bois où
se trouvaient quatre statues de vieilles femmes du ciel et une statue d'un dieu protecteur
de la ville. Soudain, il entendit des pas qui s'approchaient. Il leva la tête et aperçut
une silhouette d'homme. L'homme passa près du novice sans le voir, s'approcha de la
statue du dieu protecteur de la ville et lui murmura en s'inclinant bien bas devant elle :
- 0 dieu protecteur de la ville, fais que demain je réussisse mon coup. Je veux dérober
un sac de pièces d'or chez mon voisin. Si tu m'aides, je te promets de te récompenser.
Je t'apporterai ce que tu aimes tant, un canard laqué et un demi-cochon rôti.
Le chuchotement prit fin et le novice observa la silhouette sombre qui s'en allait sans
bruit, sur la pointe des pieds, et quittait le temple.
Le lendemain soir, quand le novice allumait les bâtonnets d'encens, dans le temple, un
homme à l'air étrange y entra. Il portait un demi-porc rôti sous le bras et un canard
laqué dans la main. Il plaça ses deux offrandes devant la statue du dieu protecteur de
la ville, s'inclina et s'en alla.
Le novice s'approcha de la statue, et constata qu'elle avait un sourire de satisfaction,
cette statue du dieu protecteur de la ville !
« Alors, toi aussi », se dit le novice, « tu prends des airs de sainteté, mais tu te
laisses porter du canard laqué et du porc rôti. Une telle prébende, de ma vie je n'en
avais encore jamais vue ! »
Au bout d'un moment de réflexion il se ressaisit, regagna sa cellule, prit une feuille de
papier de riz, un pinceau, et en peignant les plus jolis caractères il écrivit une
plainte contre le dieu protecteur de la ville.
Puis il alla la porter au supérieur des moines.
- Oh là là ! Voilà une affaire bien spécieuse ! s'exclama le moine. Moi, je ne veux
pas m'en mêler. Comment, écrire une plainte contre un dieu, alors que nous sommes
quotidiennement avec lui ! Le mieux est encore de s'arranger à l'amiable. Puis le
supérieur déchira la plainte et en brûla les morceaux.
Le papier brûla avec une flamme claire. Dans l'air, s'élevaient en se tortillant des
petits bouts de papier noirci, qui montaient, montaient haut, toujours plus haut, voletant
et montant jusqu'à arriver au ciel, aux pieds mêmes de l'Empereur de Jade.
« Qui donc m'écrit encore ? » se dit l'Empereur de Jade avec curiosité. Il rassembla
les bouts de papier noirci et les remit l'un près de l'autre, reformant le message.
Mais bientôt son aimable face se rembrunit. Plus il lisait, plus il s'assombrissait. «
Ils sont pleins de zèle, mes représentants sur terre », se dit-il. « On ne les
surveille jamais assez. Du canard laqué et un demi-porc rôti, je vous demande un peu !
Moi aussi, je m'en régalerais volontiers. Après tout, ce n'est pas un crime, mais je ne
puis le tolérer. Il faut de l'ordre, de la discipline. Je ne supporterai pas ce désordre
ni cette filouterie. Il n'en faut pas plus pour que bientôt les gens se moquent du ciel !
»
Alors il envoya sur terre un étrange exanthème. En même temps, il faisait savoir que
cette maladie ne pouvait se guérir qu'en se frottant aux endroits atteints avec un peu de
la terre de la statue du dieu protecteur de la ville. Du coup les portes du temple de bois
n'avaient plus le temps de se refermer d'un visiteur à l'autre. Les malades se
succédaient pour aller arracher un peu de la terre du dieu d'argile. Ils s'inclinaient
profondément et vite, grattaient, raclaient, cassaient comme ils pouvaient un petit
morceau, pour s'en servir comme baume. Il ne fallut pas bien longtemps pour que du dieu
protecteur de la ville il ne restât que le souvenir.
Et les gens chantaient les louanges de l'Empereur de Jade, qui avait su si bien les
guérir d'une vilaine maladie.
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