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Le tailleur de pierre
Recherche par Arduinna

Il y avait une fois un tailleur de pierre : c'était un artisan loyal, actif et ayant de bonnes idées. Il jouissait de la meilleure réputation. Un jour un riche de l'endroit en entendit parler, et le fit mander pour lui confier quelque petit travail. C'est ainsi que le tailleur de pierre pénétra pour la première fois dans une maison luxueuse, et qu'il vit comment vivait un homme aussi riche. Dormir sur un lit moelleux, fainéanter enveloppé de brocart, se faire apporter la nourriture jusque dans la bouche : ailerons de requins, ventres de calmars, tous plats plus fins l'un que l'autre. « Moi aussi, je pourrais le faire », se disait le tailleur de pierre mécontent. « Il y en a qui vivent comme ça, et moi, il me faudrait travailler. Mais j'en ai par-dessus la tête de travailler sans cesse », se disait-il encore en se fâchant un peu plus. « Je ne vais plus accepter la moindre commande, en voilà assez ! Je dois réfléchir au moyen de devenir riche au plus vite.»
Alors l'aimable tailleur de pierre cessa de travailler. Il restait allongé, fixant le plafond. Il réfléchissait et réfléchissait mais aucune idée valable ne lui venait à l'esprit.
Ses tracas parvinrent à l'oreille d'une fée des environs. Elle se dit qu'elle allait l'aider. « Qu'il en soit comme il veut », se dit-elle. « S'il a tellement envie d'être riche, eh bien, qu'il soit riche ! »
Voilà notre brave tailleur de pierre qui se retrouva sans savoir comment dans le luxe, mais cela ne lui fit pas perdre la tête ; Il se sentit aussitôt chez lui, dans son palais et se mit à y cultiver sa paresse, comme il convient.
Or un jour un courrier de l'empereur passa par cette ville. Tout s'agita : ce n'étaient que coups de gong et roulements de tambour pour attirer les gens, qui arrivaient tous en courant et venaient s'incliner profondément devant le messager dans son palanquin. Seul notre tailleur de pierre resta mollement allongé sur sa couche. Il se régalait précisément d'un mets de choix et s'était dit qu'un riche comme lui n'avait pas à se déranger pour un quelconque bureaucrate. Mais le grand dignitaire, blessé, ne l'envisageait pas ainsi. « Comment », se dit-il, « cet impertinent n'est pas venu s'incliner devant moi ? » Offensé, il ordonna de faire payer une amende de trois cents pièces d'argent au tailleur de pierre, et de lui octroyer par surcroît trois cents coups de bâton.
Quand les hommes d'armes, leur mission accomplie, eurent relâché notre cher tailleur de pierre, celui-ci, en se relevant après sa bastonnade, se mit à geindre : « Peste de la richesse ! Est-ce qu'un bureaucrate comme celui-là n'est pas logé à meilleure enseigne ? » Déjà il n'était plus satisfait de vivre dans le luxe. Il ne pensait qu'au moyen de devenir fonctionnaire.
La fée connaissait son tourment et elle le plaignait. Si bien qu'un jour notre tailleur de pierre se réveilla non dans la peau d'un riche oisif, mais dans celle d'un grave et puissant dignitaire.
Cette position, c'était quelque chose ! Notre tailleur de pierre ne dut même pas apprendre tout ce qu'un homme dans sa situation pouvait se permettre. Il sut dès l'abord commander, imposer silence aux autres et de toutes façons les obliger à faire des choses qui leur étaient désagréables. Les gens s'en plaignaient en silence et se disaient : « Celui-là, il ne nous manquait plus que lui ; je vous demande un peu, voisin, est-ce qu'il n'a pas la tête pleine de son ! » Ils murmuraient encore bien des choses pires à propos de lui, sans respect aucun, mais ils devaient tenir leur langue, écouter les ordres supérieurs et se tenir à une distance respectueuse. Le tailleur de pierre était très satisfait de sa situation, et cela l'amusait toujours de chercher de nouveaux passe-temps.
Un jour qu'il faisait une excursion dans les collines voisines avec quelques amis, ils y rencontrèrent un groupe de jolies jeunes filles.
- Oh, les amis, on va s'amuser ! s'écria le tailleur de pierre. Choisissez celle qui vous convient, et qu'aucune ne nous échappe : nous allons les ridiculiser ! Et la bande se jeta parmi les jeunes filles.
Les paysans qui travaillaient dans le voisinage entendirent les cris. Ils accoururent, se jetèrent sur les intrus, venus de toutes parts. Ils leur assenèrent la punition qu'ils avaient méritée et le tailleur de pierre, qui était le plus coupable pour avoir incité les autres, reçut double part de coups.
Dès lors, il commença à être fort insatisfait de son sort. « Cela m'importe peu que les gens s'inclinent devant moi, si derrière la première colline le premier venu peut me frapper ainsi ? » se disait-il avec amertume. « Il vaut encore mieux être un simple paysan qui vit dans la montagne. Celui-là, tout le monde le laisse tranquille. Si tu lui déplais, il te rosse, même si tu es porté en palanquin doré par vingt serviteurs. J'aimerais être un tel paysan tout simple. »
Dès lors plus rien ne réjouit le tailleur de pierre. Il ne pensait qu'à être un simple paysan de la montagne. Et la fée, qui était vraiment très bonne, réalisa encore son souhait.
Désormais, au lieu de paresser dans son palais du matin au soir, il cultiva durement son lopin de terre, qu'il plût, qu'il neigeât ou qu'il ventât, ou que le soleil lui brûlât l'échine. Et il était parfaitement heureux !
Heureux jusqu'à ce jour où, le soleil ayant si ardemment inondé la terre que tout était abattu parmi les vivants, chacun avait recherché un coin d'ombre pour s'abriter. Les oiseaux se taisaient dans le feuillage, les buffles s'étaient enfoncés dans l'eau jusqu'aux yeux, sans un mouvement. Il faisait si chaud qu'on ne pouvait respirer, marcher, parler, ni même dormir. Seuls les gens de la montagne continuaient à travailler comme d'habitude, résistants et indomptables comme les pousses de riz. Le tailleur de pierre clignait des yeux, en essuyant son front où coulait la sueur. Il pensait : « C'est encore le soleil qui a la meilleure place. Ah ! si j'étais le soleil ! Ah, oui ! »
« Pourquoi pas ? » pensa la fée. « Qu'il essaie, si cela lui chante ! » Et elle fit de lui un soleil qu'elle suspendit bien haut dans le ciel.
Le tailleur de pierre était heureux ; il glissait agréablement dans le ciel, éclairant et chauffant la terre à sa guise, et personne parmi les terriens n'avait la possibilité de se plaindre.
Mais voilà qu'un beau jour un nuage apparut à l'horizon. Tout d'abord le tailleur de pierre n'y fit même pas attention, mais le nuage grossit, s'élargit, noircit. « Pourquoi s'étend-il si fort, celui-là ? » pensa le tailleur de pierre. « Je n'arrive pas à le traverser de mes rayons. » Et c'est vrai, ses rayons ne perçaient pas ce nuage. Tout le temps que ce nuage voila le ciel - et cela dura quelques jours -, sur terre, c'était comme s'il n'y avait plus de soleil du tout. Le plaisir du tailleur de pierre était gâché. « A quoi bon être le soleil », se disait-il, « si je ne peux éclairer comme je veux. Etre nuage, ce serait vraiment autre chose ! »
« Mais oui », se dit la fée. « Si c'est ce qu'il veut, qu'il en soit ainsi. » Et elle le transforma en un gros nuage bien noir.
Une fois de plus, le tailleur de pierre était tout content. Il s'étira à l'aise, cachant tout le soleil, et cela lui faisait plaisir de voir les gens scruter le ciel avec anxiété. Il se prélassa quelque peu, puis il se secoua en se disant qu'il allait se promener. Il erra dans le ciel, de-ci de-là, et se sentit de fort bonne humeur. Là-dessus arriva un coup de vent, qui sait d'où ? un coup de vent qui secoua notre nuage tailleur de pierre juste au moment où il se préparait à faire un petit somme.
- Qu'est-ce qui te prend, tu es fou, ou quoi ? Tu ne peux pas aller souffler ailleurs ? grogna-t-il à l'adresse du vent.
- Je peux, mais je ne veux pas, répondit le vent moqueur. J'ai justement envie maintenant de te pourchasser.
- Mais moi, non ! rétorqua notre tailleur de pierre d'un ton si menaçant que les gens, sur terre, furent certains que l'orage éclatait dans ce nuage.
Le vent, lui, ne se laissait pas abattre. Il poussa de toutes ses forces sur le nuage et frrr ! le tailleur de pierre s'envola jusque derrière la montagne, mais il parvint à s'accrocher tant bien que mal à son sommet. « Allons allons, reste donc tranquille, voyons ! » criait-il au vent, mais ce dernier devenait de plus en plus fou, n'ayant pas la moindre idée de s'arrêter. Il poussait le nuage à droite, à gauche, puis en rond, si bien que notre tailleur de pierre s'aperçut qu'il avait le bas de son pantalon tout déchiré. « C'est le bouquet ! » gronda-t-il. « La belle affaire, d'être un nuage indépendant, si le premier vent venu peut faire de moi ce qu'il veut. Moi aussi, j'aimerais mieux être vent que nuage ! »
« Il veut être le vent, eh bien, soit ! » se dit la fée. Au même instant notre tailleur de pierre se mit à souffler à travers le firmament, il pénétra dans chaque fente, fit tournoyer dans les airs branches et feuilles ; il remuait, renversait et dispersait tout ce qu'il pouvait, s'amusant beaucoup au point que les arbres tremblaient. Il se disait : « Ma foi, je ne me suis plus jamais amusé depuis que j'étais enfant ! ». Et il s'en donnait à coeur joie ! Fououoû ! Fiiiî ! mais soudain poum ! il se cogna la tête contre quelque chose. C'était un grand roc qui se dressait devant lui.
- Tu ne connais pas les usages ? se renfrogna le tailleur de pierre. Devant moi, quand je le veux, même le plus haut pin s'incline. Incline-toi !
- Je n'ai pas envie, répondit le roc en le bravant, et il ne broncha pas.
- C'est ce que l'on va voir, déclara le tailleur de pierre qui souffla de toutes ses forces.
Le roc restait là, le regardant imperturbablement.
- Oui, ce n'était pas grand-chose, mais maintenant on va voir ce qu'on va voir ! dit le tailleur de pierre tout essoufflé, en poussant de toutes ses forces.
Le roc ne broncha pas davantage.
- Hélas, que ne suis-je pas un bon rocher, aucun vent ne peut l'ébranler ! soupira le tailleur de pierre avec dépit. Il était sur le point de pleurer.
« Après tout », se dit la bonne fée, en l'entendant se plaindre, « on ne risque rien à ,essayer. »
Aussitôt le tailleur de pierre devint un beau roc bien haut, bien droit, et la fée le planta au sommet d'un rocher.
Maintenant, le tailleur de pierre pouvait être satisfait. Soleil, vent ou nuage, plus rien ne pouvait le gêner. Fermement campé sur sa base, d'où il était il avait une vue superbe sur tout le paysage, et il se sentait fort satisfait : « C'est encore la meilleure situation de toutes. Maintenant, enfin, je n'ai plus l'ombre d'un souci ! »
Mais un jour, qu'il était là si tranquille, il entendit des voix d'hommes. « Qu'est-ce que c'est ? » se demanda-t-il. « Qui diable a eu l'idée de grimper jusqu'ici ? »
Il vit alors sortir de la forêt quatre hommes, quatre tailleurs de pierre, qui entreprirent l'ascension du rocher jusqu’à son faîte.
Voilà une belle pierre, dit le premier homme d'un air satisfait. C'est juste ce qu'il nous faut !
- Seulement, cette pierre-là, tu ne la retireras pas aisément du rocher, argua le deuxième en faisant le tour du roc. Il nous faudra le tailler un peu sur place, puis nous essayerons de l'extraire.
- D'accord. Allons chercher nos outils, conclut le troisième. Et ils s'en allèrent.
L'idée que l'on pouvait le tailler et le retirer d'où il était ne souriait pas du tout à notre tailleur de pierre.
Et dire que je n'ai pas su me contenter de mon métier ! se lamenta-t-il. I1 n'y en a pas de plus beau !
En entendant ça, la fée dit :
- Si tu veux, je vais te refaire tailleur de pierre, mais c'est la dernière fois que je m'occupe de toi. Aussi, réfléchis bien !
- Je ne veux plus être un roc ! déclara résolument le tailleur de pierre. Je ne veux plus être rien d'autre que ce que j'étais avant tous ces changements. Refais-moi tailleur de pierre, je t'en prie !
La fée accomplit alors son dernier souhait. Et le tailleur de pierre, qui avait vécu tant d'expériences, savait que toute chose a son envers et son endroit. Il cessa de rêver à l'impossible et reprit son métier avec plaisir. Au bout d'un certain temps, il parvint même à une certaine aisance grâce à son métier. Il était devenu une personnalité importante parmi ses concitoyens, et il vécut très heureux jusqu'à un âge avancé.


 

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