Les deux feux follets
Recherche par Arduinna
Dans une sombre région inhospitalière, où même le pommier
sauvage ne fleurit jamais et où ne poussent que de mauvaises herbes vénéneuses, dans
une terre marécageuse, vivait un homme veuf. Il ne prenait aucun soin de sa personne, ne
se rasait jamais et ne faisait que grommeler contre le monde entier. Il avait pourtant une
fille si belle, si tendre que son visage semblait rayonner. C'était une jeune fille
silencieuse. Comme elle n'avait pas connu l'amour maternel, et qu'elle avait grandi
auprès d'un père rogue et rébarbatif, elle était très, très timide. Et elle était
bien triste et mélancolique, si triste sur cette terre ingrate !
Un jour qu'elle rapportait de l'eau du puits, elle rencontra un jeune homme au visage si
noble qu'elle ne put en détacher les yeux.
Le jeune homme la regardait avec admiration, lui aussi, comme saisi d'un charme. Les deux
jeunes gens sentirent leurs joues rougir en même temps. Ils se regardèrent ainsi
longtemps en silence, intimidés, effarouchés de sentir ce qui se passait dans leur
coeur.
Dès lors, le jeune homme se plaça tous les jours sur le sentier menant au puits. Chaque
jour les jeunes gens se rencontraient et se regardaient longuement, en silence. Chaque
fois la jeune fille lançait un sourire timide au jeune homme, et ce dernier la regardait
tendrement. Et ainsi, de jour en jour, ils devenaient un peu plus amoureux l'un de
l'autre. Ils finirent par sentir qu'ils ne pouvaient plus vivre séparés. Un jour, le
jeune homme s'enhardit à prendre doucement sa bien-aimée par la main et la mena jusqu'à
son irascible père, pour lui demander de consentir à leur mariage. En réponse, le père
s'emporta violemment contre sa malheureuse fille, menaça le jeune homme de son bâton,
disant qu'il allait le tuer s'il osait encore se montrer dans les parages.
Après cette scène, il enferma sa fille dans sa chambre. Sans pitié il l'y garda, même
quand, à force de pleurer, elle était sur le point de tomber gravement malade.
Mais un jour le père oublia de fermer la chambre à clé pour la nuit. Vers minuit, la
jeune fille sortit à pas de loup de sa chambre, et hâta vers le puits, glissant sans
bruit.
Elle vit la silhouette de son bien-aimé sur le sentier. Aussi pâle qu'elle, il la prit
dans ses bras et la serra sur sa poitrine. Ils étaient tous les deux tristes et
désespérés, ils savaient qu'ils ne pouvaient vivre l'un sans l'autre et pourtant que
c'était impossible ; aussi décidèrent-ils de mourir ensemble. Ils cueillirent des
herbes vénéneuses et en absorbèrent le suc fatal.
Le matin, à son réveil, quand le père n'aperçut pas la fille dans sa chambre, il
sortit précipitamment. Et là, près du puits, il vit les deux amoureux tendrement
enlacés, mais gisant au sol, inanimés.
Horrifié, le père cherchai des yeux, autour de lui, un endroit où il pourrait cacher
les deux corps. Il avait tellement peur de ces deux morts qu'il les jeta dans le marais
profond.
Toutefois, les deux corps étaient à peine enfoncés dans l'eau bourbeuse du marécage
qu'en cet endroit même se mirent à pousser deux pommiers. Leurs troncs se penchaient
l'un vers l'autre si fort quils finirent par n'en faire plus qu'un seul et, dans le
ciel, leurs branches se mêlaient en une seule couronne feuillue.
En voyant fleurir ce double pommier, le père fut tant effrayé qu'il courut chez lui se
munir d'une hache. Il revint en hâte abattre les troncs, tailler les branches, réduisant
tout en copeaux qu'il alla brûler à la bordure du marais.
Le soir venu, quand le feu s'éteignit, on en vit sortir deux petites flammes qui
montèrent et ne s'éteignirent plus jamais. Aujourd'hui encore, si vous passez la nuit
par ces marais, vous verrez deux petits feux, deux petites flammes qui courent sur les
eaux stagnantes. Elles errent, comme si elles cherchaient quelque chose, sans jamais
pouvoir le trouver... |
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