Le
Sultan
Recherche par Arduinna
Il était une fois un sultan; -or il n'y a de sultan qu'Allah- qui n'avait que
des filles aussi belles les unes que les autres. Outre la beauté, elles avaient des
qualités de cÏur exem-plaires. Mais le sultan n'était pas heureux. Un garçon manquait
à son bonheur; un fils! Un fils qui lui succé-derait, un fils qui perpé-tuerait la
lignée. Le sultan et sa femme, qui avaient peur de mourir sans laisser d'enfant mâle,
priaient jours et nuits, faisaient des aumônes, consultaient les plus illlustres
médecins, visitaient tous les marabouts du pays, mais en vain. Après bien des années,
la sultane mit au monde un garçon. La veille de sa naissance, alors que la sultane
faisait sa sieste, un vieillard à barbe blanche lui apparut en rêve et lui dit: «Tu
auras un fils, il aura toutes les qualités attendues chez un prince. Il sera beau,
intelligent, courageux, témé-raire, mais lorsqu'il attein-dra l'âge adulte il tombera
si gravement malade que sa vie sera en danger et qu'il ne il sera guéri que si vous
consentiriez un gros sacri-fice.» Et il disparut laissant la pauvre femme ébranlée.
«Comment faire?» se lamentait-elle, elle dont la joie provoquée par la naissance du
prince commen-çait à s'émousser. «Comment faire pour aider mon fils?» Les années
passèrent. Le garçon grandissait en beauté, courage et témérité, comme l'avait
prédit le vieillard.
Lorsqu'il fut en âge de prendre femme, son père demanda et obtint pour lui la main de la
fille du sultan voisin. Le mariage devant être célébré à la fin de l'été après les
moissons, tout le pays s'activait en vue des noces qui devaient être inoubliables, car le
jeune prince était aimé et estimé de tous autant pour sa bonté et sa générosité que
pour sa bravoure et son intelligence. La sultane voyant son fils en bonne santé oublia le
rêve et avec lui ses craintes jusqu'au jour ou le prince qui revenait à travers champs
vit une jeune fille qui avançait en titubant une cruche sur la tête. Elle fit encore
quelques pas puis s'écroula. La cruche en tombant se cassa en plusieurs morceaux et l'eau
se répandit sur le sol. Le prince se précipita et quelle ne fut pas sa surprise
lorsqu'il découvrit une éblouissante jeune fille aux longs cheveux d'un noir d'ébène
éparpillés autour d'elle. Toute la beauté et toute la grâce étaient gravées sur ses
traits et sa silhouette mais ses vêtements quoique propres étaient ceux d'une
miséreuse. Le prince, émer-veillé, la contempla long-temps puis se secoua comme s'il
sortait d'un rêve. Il l'aida à se relever. En voyant sa cruche cassée elle éclata en
sanglots.
«-Oh, ma cruche, ma belle cruche que mon père m'a ramenée du souk. Que vais-je lui dire
pour me justifier?»
-N'ayez crainte, lui dit le prince, des cruches semblables, il y en a plein le souk.
-Hélas, mon bon sei-gneur, hélas nous sommes pauvres et mon père, pour m'acheter cette
cruche, s'est privé durant une semaine d'un remède qu'il prend lorsqu'il fabrique le
charbon. Mon père, seigneur, est charbonnier, et c'est lui qui alimente tout le palais en
charbon.
-N'ayez crainte vous dis-je, demain à l'aube une cruche aussi belle vous attendra devant
chez vous.»
Rassurée, elle partit. Le prince resta longtemps de-bout à l'endroit ou elle était
tombée puis il partit à son tour. Il envoya sur le champ un domestique au souk, avec
ordre d'acheter une cruche et de la déposer devant la maison du charbonnier.
Toute la journée, le prince fut obsédé par la vision de la jeune fille, et le soir il
ne put fermer l'Ïil tant cette vision était vivace dans son esprit. Cet état de chose
dura plusieurs jours, au point que le jeune homme en perdit le goût du sommeil et ne se
restaurait que rarement. Sa situation était sans issue, car il ne voulait pas se marier
avec la fille du sultan mais avec la fille du charbonnier. Au bout de quelques temps, le
prince tomba gravement malade, ne trouvant aucune solution à son problème. Ses parents
affolés firent venir tous les médecins du pays, mais aucun ne put déceler la nature de
cette mystérieuse maladie. Il dépérissait à vue d'oeil sous le regard impuissant de
ceux-ci.
«-De quoi souffres-tu mon cher petit?» lui demandaient-ils.
«-Le mal dont je atteint, nul ne peut le guérir à moins d'un sacrifice que je suis
incapable de vous demander» répondit-il.
Ils eurent beau le ques-tionner, il ne leur révéla absolument rien. La fille du
charbonnier eut vent de cette maladie, car les serviteurs, étant très bavards,
racon-taient à qui voulait les entendre que le prince était possédé. Moyennant une
pièce d'argent, elle pria une servante chargée de l'entre-tien de la chambre où il
reposait de lui permettre de lui rendre visite au moment où il serait seul. Aussitôt
qu'il la vit, il se sentit mieux et lui fit part de ses sentiments.
«-Oubliez-moi sire, oubliez-moi, je ne suis pas digne d'être votre femme car je suis de
condition très modeste. Je suis moi-même très perturbée depuis que je vous ai vu mais
hélas je me fais une raison.
«-Rendez-moi au moins visite, la pria le prince, en l'absence de mes parents; j'en
donnerai moi-même l'ordre à la servante.» Elle le lui promit et partit. Un jour, alors
que la sultane somnolait près de la couche de son fils, le vieillard réapparut et lui
dit: «Votre fils peut guérir à condition que vous acceptiez de lui donner la fille du
charbonnier pour épouse. En bon fils, il ne veut pas vous faire de la peine mais votre
peine sera beaucoup plus grande si vous refusez et qu'il mourra». La sultane se réveilla
en sursaut en psal-modiant le nom de Dieu et maudissant Satan. «La fille du charbonnier?
Mais qui est donc cette fille qui a rendu mon fils si malade? Mérite-elle au moins un
pareil sacrifice? Dès demain j'irai la voir».
Le lendemain, très tôt et sans rien dire à personne, elle se déguisa et partit vers la
maison du charbonnier qui se trouvait à l'entrée de la forêt. En voyant la maison si
vétuste, ellle frissonna, se cacha derrière un arbre et attendit. Un moment après, une
jeune fille belle comme le jour apparut sur le seuil. «Ah! Je comprend pourquoi mon fils
est si malade, dit-elle. Mais une telle alliance est impossible. Il faut qu'elle et ses
parents quittent le pays; alors l'envoûtement quittera le corps de mon fils.». Toujours
déguisée, ellle se présenta à eux et leur dit: «La sultane, ma maîtresse m'envoie
vous dire que son fils est tombé en léthargie depuis qu'il a vu votre fille. Vous
comprenez aisément qu'il lui est impossible de vous demander sa main, alors elle vous
demande de quitter le pays à moins que... à moins que votre fille ne tisse une étoffe
de soie si légère et si belle qu'elle n'aura pas son pareil dans tout le royaume. Mais
si l'étoffe n'est pas prête dans deux jours alors vous vous en irez».Elle partit
laissant la jeune fille et ses parents désemparés. Peu après, la jeune fille reçut la
visite de la servante qui lui dit que son maître désirait la voir. Elle la suivit et
raconta au prince tout ce qui venait d'arriver.
«-Va, lui dit le prince, va dans la forêt et raconte tout au grand mûrier.
-Mais comment un arbre pourra-t-il m'aider? lui dit-elle.
-Va, répond le prince et fais-moi confiance.»
Arrivée devant le mûrier, elle se mit à pleurer à chaudes larmes. «Mon Dieu, mon Dieu
comment vais-je m'en sortir? Comment vais-je faire pour éviter l'exil à mes parents?».
Alors le mûrier eût pitié d'elle; il secoua très fort ses branches afin de réveiller
tous les vers à soie qui s'y trouvaient et leur tint ces propos: «Je veux que vous vous
mettiez tous à l'ouvrage et que vous tissiez très vite la plus belle étoffe qu'il m'ait
été donné de voir, sinon je dessécherai toutes mes feuilles et vous n'aurez plus rien
à manger». Les vers à soie, apeurés, commen-cèrent à tisser, à tisser la plus belle
et la plus arachnéenne étoffe qui pût exister. Ils travaillèrent tant et si bien qu'au
bout de deux jours, la toile fût finie. Lorsque la sultane, toujours déguisée, la vit,
elle blêmit et dit: «Tout ceci est fort bien mais ma maîtresse désire cette fois que
vous récupériez le collier de perles qu'elle portait et qui s'est cassé l'an dernier
près du bassin derrière le palais».
Cette fois-ci, la jeune fille dit au prince qu'il lui était impossible de surmonter cette
nouvelle épreuve.
«-La solution se trouve au seuil de ta maison, répondit-il; va, que Dieu t'assiste et te
vienne en aide.»
L'esprit ailleurs, elle marcha, marcha jusqu'à la maison de ses parents. Alors, du pied
et sans le vouloir, elle foula une fourmilière. Sentant alors quelques fourmis sur sa
jambe, ellle s'agenouilla pour réparer les dégâts. Tout en s'excusant, elle leur fit
part des raisons de son chagrin. La reine des fourmis ordonna alors à ses ouvrières de
restituer les perles qui se trouvaient au fond de la fourmilière. Les perles
re-trouvées, la sultane n'ayant plus aucune excuse accepta que son fils épouse l'humble
fille. Les noces prévues pour la fille du sultan furent célébrées en grandes pompes en
l'honneur de la fille du charbonnier.
Et le prince, guéri et heureux, vécut très longtemps avec celle qui lui était
destinée depuis sa naissance. |
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