La Forêt aux biches
Légende Indienne
Recherche par Elista
Le roi Dushyanta était un chasseur acharné. Souvent, délaissant sa cour et ses
travaux, il sen allait seul sur son cheval et senfonçait dans la forêt
quil connaissait mieux que personne. Lorsquil traquait le gibier, il ne
pensait plus à rien dautre, et il lui arrivait parfois de franchir sans sen
rendre compte les limites de son propre royaume.
Cest ainsi que, poursuivant un jour un cerf magnifique, il se trouva soudain en
présence de trois sages qui lui barrèrent le passage en levant vers le ciel leurs longs
bras maigres.
« Ô grand roi Dushyanta, dit le plus âgé des sages qui se nommait Kanva, ton vice te
rendrait-il aveugle ? Ne vois-tu pas que tu chasses sur les terres de notre ermitage ?
- Aurais-tu oublié, dit un autre sage, que nul na le droit de tuer un animal qui
vient se réfugier en un lieu sacré ? Ignorerais-tu que tu risques de perdre ainsi tout
droit au paradis éternel ? »
Le roi mit pied à terre et, se prosternant devant les trois sages, il implora leur
pardon.
« - Il est exact, dit-il, que ma passion maveugle parfois. Je vous en demande
pardon bien humblement. »
Kanva et ses deux compagnons accordèrent le pardon demandé, et reprirent le chemin de
leur ermitage. Le roi sen fut de son côté, méditant sur les méfaits de certaines
passions qui, parfois, font perdre à lhomme le sens de son devoir. Il se dit que la
chasse était un jeu bien cruel et se promit de tout faire pour ne plus céder à son
désir de sang.
Fatigué, il sarrêta à lombre dun grand arbre dont les branches
tombaient très bas et formaient une voûte presque fraîche. Ayant attaché son cheval,
il sassit sur la mousse et se mit à rêver.
Il nétait pas là depuis plus dune heure, lorsquil entendit approcher
des pas et des voix. Il prêta loreille et regarda entre les feuillages. Trois
jeunes filles se promenaient en bavardant, trois jeunes filles entourées de biches et
doiseaux. Cétait un spectacle dune fraîcheur infinie et dune
rare douceur. La jeune fille qui marchait entre les deux autres était si belle que, dans
linstant, le roi en tomba amoureux et décida de lépouser. Il en était à
chercher un moyen de se présenter sans paraître importun, lorsquune guêpe de
forte taille sen vint bourdonner autour de la jeune fille qui ne savait comment
sen débarrasser. Le roi bondit, écarta les branchages et chassa la guêpe.
« Salut, bel inconnu, dit la jeune fille. Tu mes venu en aide, que puis-je faire
pour te remercier ?
- Je suis le roi Dushyanta, dit-il, et toi, qui es-tu ?
- Je suis Shakuntala, fille du grand sage Kanva. »
Le roi eut du mal à dissimuler son mouvement de contrariété. Il savait que seuls les
sages peuvent épouser les filles de sages. Cette beauté allait donc lui échapper. Il
allait peut-être se mettre à pleurer lorsque les deux autres jeunes filles
séloignèrent en disant :
« Nous allons vous laisser bavarder. Attends-nous ici, Shakuntala, nous te rejoindrons au
retour de notre promenade. »
Dès que ses amies eurent fait quelques pas, la jeune fille sourit au roi et murmura :
« Ne sois pas inquiet, ce nest pas vrai. Je ne suis pas la fille du vieux sage. Mon
père est le roi Visvamitra et ma mère est la nymphe Menaka.
- Mais comment se fait-il que tu sois ici sous ce nom ? Serais-tu prisonnière de ceux qui
détiennent tant de pouvoir en ces lieux sacrés ? »
La jeune fille allait répondre, lorsque, venant du palais des sages, le tintement
dune cloche courut sur la forêt. En même temps, des voix que répercutait un écho
inquiétant, se mirent à crier :
« Prenez garde, animaux de la forêt, cachez-vous ! Regagnez le palais, le méchant roi
Dushyanta chasse sur la terre des sages
Prenez garde ! »
Le roi sétait retourné pour tenter de découvrir doù venaient ces voix qui
paraissaient à la fois si proches et si lointaines, mais il ne vit rien que la forêt
toute remuée par lenvol de milliers doiseaux et le trottinement de tous les
animaux en fuite. Lorsquil voulut de nouveau regarder la jeune fille, elle avait
disparu. Et il ne put apercevoir que trois biches galopant en direction du palais des
sages.
Durant des jours et des jours, le roi revint rôder dans cette forêt, mais son espoir de
retrouver celle quil aimait resta vain. A plusieurs reprises, il aperçut des biches
qui senfuyaient à son approche, cest tout ce quil put voir, et ces
rencontres lattristaient encore. Dans son entourage, on sinquiétait beaucoup
de lui voir cette mine sombre et ce visage tendu, et nul ne comprit pour quelle raison il
ne voulut plus jamais participer à aucune chasse. Il finit même par interdire que
lon pratiquât ce jeu cruel sur tout son royaume, qui devint bientôt le paradis de
toutes les bêtes dites sauvages. Hélas, depuis que le roi Dushyanta est mort, les
chasses ont repris de plus belle, et des milliers de biches ont été abattues. |
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