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Orphée et Eurydice

 

Dans une région de Grèce appelée la Thrace vivait, il y a très longtemps, un fameux aède : Orphée. Il s'accompagnait avec une lyre et chantait si merveilleusement que personne ne pouvait résister à sa musique. Les oiseaux eux-mêmes l'écoutaient en silence et les animaux quittaient la forêt pour le suivre. Le loup trottait à côté de l'agneau, le renard suivait le lièvre, sans qu'aucun animal cherchât querelle à un autre. Même les serpents quittaient leurs trous et les pierres s'écartaient pour faire un chemin devant Orphée. Ses chansons arrêtaient le cours des rivières et les poissons sortaient de l'eau pour l'écouter.

Les hommes riaient ou pleuraient, selon que son chant était gai ou triste. Ils oubliaient tous leurs soucis. Les dieux, attirés eux aussi par la voix d'Orphée, se rendaient en suivant la Voie Lactée aux endroits où il chantait.

De même les naïades quittèrent les vagues dès qu'elles entendirent les sons mélodieux. Orphée tomba amoureux de l'une d'elles, l'emmena avec lui et l'épousa. La nymphe Eurydice était aussi jolie que ses chansons et pendant quelque temps ils vécurent très heureux. Un jour, Orphée dut s'absenter et Eurydice resta seule. Dans sa solitude lui vint la nostalgie des prairies vertes et douces où murmuraient les rivières et les sources. Là-bas dans les eaux scintillantes, vivaient ses sœurs les naïades. Eurydice pensait souvent à elles; aussi décida-t-elle de leur rendre visite. Elle partit en courant de chez elle, tant elle était pressée de les surprendre. Elle se hâtait par les raccourcis quand, soudain, elle ressentit une douleur aiguë au pied, qui inonda bientôt tout son corps. A terre, elle aperçut un serpent venimeux qui rampait dans l'herbe. Elle tomba évanouie dans l'herbe. La morsure était mortelle, son cœur cessa de battre. Eurydice était morte, et ni les pleurs de ses sœurs, ni le désespoir d'Orphée, qui était accouru, ne purent la ramener à la vie.

Orphée enterra Eurydice, et, avec elle, toutes ses chansons gaies. Tristement il erra par le monde, et ceux qui écoutaient ses nouvelles paroles avaient le visage ruisselant de larmes. Les feuilles des arbres soupiraient et les bêtes sauvages, les yeux humides, sortaient des profondeurs des forêts.

Orphée ne trouva la paix nulle part sur terre: il ne cessait de penser à Eurydice et à la joie qu'il avait perdue. Le temps n'adoucissait pas sa peine. Aussi, après sa longue marche, il décida de descendre sous terre, dans le monde inférieur où s'étendait l'ombre de la mort. Le dieu Hadès et sa femme Perséphone gouvernaient ce royaume des âmes des défunts. Orphée voulait convaincre les dieux des Enfers de lui rendre son Eurydice, de lui permettre d'enfreindre la loi de la mort en a laissant revivre sur terre. Il marcha vers l'Ouest, car c'était là que se trouvait, cachée sous de noirs rochers, l'entrée du royaume. Il s'avançait inlassablement, mais, ne trouvant rien, crut avoir perdu son chemin et se mit à chanter tristement son amour pour Eurydice.

Les arbres eux-mêmes furent émus - ils lui montrèrent le chemin avec leurs branches et l'herbe, saisie de pitié, courba ses brins dans la direction du monde des ténèbres.

Enfin, Orphée vit une rangée de cyprès immobiles et un amoncellement de noirs rochers disparaissant presque dans un épais brouillard gris. Il pénétra dans ce nuage de mort. Soudain, trois paires d'yeux flamboyants scintillèrent devant lui et un aboiement sauvage retentit. C'était Cerbère, le chien à trois têtes, l'effrayant gardien des portes du royaume, capable de reconnaître l'odeur des vivants. Orphée se mit à chanter et les trois gueules ensanglantées se turent. Le gigantesque chien se coucha et laissa passer Orphée. Tout en chantant, celui-ci descendit un sentier escarpé, évitant les endroits d'où jaillissaient des flammes, bien qu'en l'entendant les flammes elles-mêmes se soient raidies et aient perdu de leur éclat.

L'intrépide voyageur se joignit à la foule silencieuse des ombres qui se pressaient sur les rives du Styx. Bientôt apparut la barque menée par le vieux Charon pour faire traverser le fleuve aux silhouettes grises. Orphée sauta à leur suite dans le bateau, mais Charon l'aperçut et refusa de l'emmener sur l'autre rive. Le malheureux Orphée se mit à chanter et fit pleurer le vieux nocher qui ne put se résoudre à l'abandonner. La barque fit la traversée et les âmes des morts allèrent se faire juger. Orphée, lui, partit à la recherche du roi du monde des profondeurs.

Il traversa une prairie hantée par les ombres de ceux qui, durant leur vie, n'avaient été ni bons ni mauvais; il vit la région bénie des champs Elysées où se réjouissaient les âmes des hommes de bien, et il finit par arriver dans le lugubre Tartare. Les morts s'y repentaient de leurs mauvaises actions dans la souffrance et la torture. Sur le passage d'Orphée, la douleur disparaissait au son de sa voix. Les âmes tourmentées oubliaient leur peine en écoutant son chant. L'ombre du roi Tantale ne pensait plus à l'éternelle faim et à l'éternelle soif auxquelles les dieux l'avaient condamné. Celle de Sisyphe se reposait un moment de son vain travail, qui était de pousser un rocher au sommet d'une colline pour le voir ensuite dévaler la pente... et recommencer éternellement.

Au milieu de ce royaume, assis sur un trône noir, on pouvait voir le roi du monde souterrain, l'impitoyable Hadès. Ses cheveux noirs tombaient sur son front et ses yeux froids brillaient dans sa figure blanche. Perséphone était à ses côtés, sa face blanche émergeant d'un vêtement noir, telle la lune pâle qui apparaît derrière un nuage. Cette vision fit trembler Orphée, mais son amour fut plus fort que sa peur et il se mit à chanter devant les souverains.

Il raconta son amour pour Eurydice et la mort qui l'avait fauchée en pleine jeunesse; il dit sa peine et son immense chagrin, puis supplia les dieux de lui rendre sa femme. De toutes manières, nul n'échappe au dernier voyage, et ils reviendraient un jour, ensemble, au royaume des morts.

Émus, Hadès et Perséphone écoutèrent son chant.

"J'exaucerai ton vœu," dit le roi, quand Orphée eut fini de chanter. "Eurydice peut retourner parmi les vivants. Mais ne te retourne pas pour voir ta femme tant que tu n'auras pas quitté le royaume des ombres. Si tu la regardes avant d'atteindre la surface, elle retournera dans les ténèbres et disparaîtra pour toujours."

Orphée remercia chaleureusement, et, sur l'ordre du dieu Hadès, l'ombre d'Eurydice s'approcha doucement pour suivre son mari.

Ils empruntèrent le sentier qui accédait à la terre et remontèrent dans la barque de Charon pour traverser le Styx.

Tous deux, ils s'avancèrent à travers une zone où régnait un silence impressionnant. Orphée marchait devant, essayant d'entendre le pas d'Eurydice. Comme il ne pouvait percevoir aucun bruit, il fut saisi d'une crainte terrible. Il pensa qu'Eurydice avait pu tomber, qu'elle avait pu perdre son chemin ou avoir été frappée par un diabolique coup du sort.

Tout à sa peur, Orphée oublia sa promesse et se retourna. L'image d'Eurydice se brouilla devant ses yeux et sa femme bien-aimée mourut une seconde fois. Comme un dernier baiser, une brise légère toucha le front d'Orphée, le laissant pétrifié d'horreur, tout seul sur le sentier, entouré de silence. Le désespoir submergea Orphée, il courut comme un fou au bas du sentier en appelant Eurydice. Mais ce fut en vain, cette fois, qu'il supplia le nocher de lui faire traverser le fleuve.

Pendant sept jours, Orphée erra le long du Styx, espérant pénétrer encore dans le royaume des morts. Sept jours, il vécut de ses seules larmes; en vain. Tristement il revint sur terre et se réfugia dans une région montagneuse désolée. Il chanta son malheur aux rochers et au vent. Les arbres des vallées l'entendirent et se mirent en mouvement au son de sa voix. Avant qu'il ait fini, un épais buisson l'entourait. La nudité de la montagne s'était recouverte du vert des fourrés, et des oiseaux sauvages, suivis d'autres animaux , élisaient domiciles dans la nouvelle forêt. Sa chanson atteignait même, grâce au vent, les habitations des hommes, qui, l'entendant, l'écoutaient avec sympathie.

Pendant ce temps, un groupe de Ménades, prêtresses de Dionysos, dieu du vin et de la vigne, se promenaient à travers la campagne. Ivres et à moitié folles, ces femmes surgirent dans le bosquet où Orphée exhalait sa plainte. Ses lamentations mirent en colère les exubérantes prêtresses, et l'une d'elles lui jeta son thyrse, bâton entouré de feuilles de vigne, tandis qu'une autre le visait avec une pierre.

Mais ni le thyrse ni la pierre n'atteignirent l'aède. Saisies de frénésie, les Ménades se mirent l'une après l'autre à ramasser et à lui jeter des pierres, et sous leurs cris la chanson d'Orphée faiblit. C'est seulement alors que les pierres atteignirent leur cible, prenant la couleur de son sang. Il cessa de chanter et il cessa de vivre. Quant aux Ménades, tout à leur oeuvre démoniaque, elles massacrèrent aussi les animaux, encore sous le charme, qui entouraient Orphée.

L'annonce de la mort d'Orphée se répandit partout. Non seulement les hommes mais toute la nature furent en deuil. Les arbres perdirent leurs feuilles en témoignage de leur peine, les rochers pleurèrent et le niveau des eaux monta à cause de toutes les larmes versées. Les nymphes des forêts et des eaux dénouèrent leurs cheveux et mirent des vêtements noirs.

L'âme d'Orphée descendit dans le royaume des ténèbres. Cette fois, Charon ne lui refusa pas le passage. L'ombre d'Orphée rejoignait celle des autres morts. Orphée reconnut de loin son Eurydice et se hâta à sa rencontre. Il pourrait maintenant la regarder et même se retourner pour l'admirer: elle ne disparaîtrait plus.

Le dieu Dionysos ne laissa pas ce crime impuni. Il changea les jambes des Ménades en racines, leurs corps en troncs d'arbres et leurs branches furent à jamais secouées par le vent.

Les Muses, déesses de l'art et de la sagesse, enterrèrent le corps d'Orphée. Sa tête, arrachée par les Ménades, flotta avec sa lyre au fil des eaux du fleuve Hebros jusqu'à la mer, où elle atteignit l'île de Lesbos.

Depuis ce jour, les rossignols y chantent le plus merveilleusement du monde et l'île a vu naître des aèdes renommés ainsi que la fameuse poétesse Sapho. Comme elle descendait le cours de la rivière, la lyre d'Orphée continuait à jouer doucement et sa tête murmurait une chanson dont, pour la dernière fois, les eaux et les rives se faisaient l'écho.

C'est ainsi qu'aujourd'hui encore les rivières gardent le souvenir d'Orphée et chantent sa chanson.


 

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