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Fenrir le loup géant
COPPIN, Brigitte, Seize contes de loups, Flammarion, n°680

Dans leur grande demeure d'Asgard, au-dessus du ciel de Scandinavie, les dieux ont peur. Malgré leur toute puissance, ils tremblent devant le loup Fenrir, le loup gigantesque qu'ils ont élevé : le grondement de sa gorge résonne dans les grandes salles du palais et, quand il ouvre ses énormes machoires,celle du haut touche la plus haute des étoiles tandis que l'autre descend jusqu'à terre.

Vraiment, le loup Fenrir est de taille à engloutir l'univers tout entier.

Fils du dieu Loki, le fourbe, et de la géante Angrboda, Fenrir appartient à la famille des géants que les dieux nordiques ont chassés d'Asgard à la création du monde pour s'installer à leur place.

Depuis des milliers d'années, les géants préparent leur vengeance et Fenrir aiguise ses crocs redoutables. Les dieux le savent : il faut briser la puissance formidable de ce monstre avant qu'il n'attaque. Vite ! Car Fenrir ne cesse de grandir. Chaque jour, il avale des rations de plus en plus colossales et ses yeux s'imbibent d'un sang rouge qui fait frémir ceux qui le regardent.

Seul le dieu Tyr l'approche sans peur ; quand l'animal n'était qu'un louveteau, il lui tendait des quartiers de viande à la pointe de son épée et le loup lui en à gardé de l'amitié.

Comment l'empêcher de nuire ?

Se demandent depuis longtemps les habitants d'Asgard. Le tuer ? Mais ce crime salirait à jamais l'honneur des dieux.

L'enchaîner au loin ? Un jour, avec milles ruses, ils ont réussi à passer autour de son cou une chaîne à gros maillons puis ils se sont écartés, soulagés.Le loup s'est levé ; il a gonflé sans effort ses muscles d'acier et la chaîne s'est rompue avec un claquement sec.

Alors les dieux ont tenté une nouvelle fois d'attacher le loup géant, avec une chaîne plus solide encore, mais celle ci n'a pas résister plus longtemps que la première

A présent, les dieux ont peur. A voix basse ils parlent.

Brusquement, il leur vient une idée divine : demander le secours des nains qui vivent au Pays des elfes noirs, dans les profondeurs de la terre !

Eux qui forgent les armes des dieux et les bijoux des déesses sauront bien fabriquer un lien que nul ne peut briser !

Les nains se mettent au travail. Et le fil qui sort peu à peu de leurs mains est aussi léger que la plume, aussi souple que la soie.

La recette en est simple : pour tisser ce lien magique, les artisans des ténèbres ont mêlé le pas silencieux du chat, la barbe de la femme, la racine de la montagne, les tendons de l'ours, le souffle des poissons et la salive des oiseaux.

Curieux, les dieux palpent l'étrange matière puis, sous prétexte d'un jeu, ils entraînent Fenrir sur un îlot désert et lui lancent un dernier défi : Laisse toi enchaîner, toi qui sais briser toutes les chaînes, celle ci ne sera pour toi qu'un fétu de paille.

Et si tu ne parviens pas à t'en délivrer nous n'aurons plus rien à craindre de toi et nous te relâcherons sans tarder. Mais Fenrir se méfie. Il sent bien que les dieux manigancent un mauvais coup.

Il hérisse le poil avant de répondre : Si j'accepte et que ce fil me résiste, j'y perds ma liberté. Si je refuse, vous direz que je manque de courage.

C'est pourquoi j'accepte à condition quelqu'un de vous place sa main entre mes crocs le temps ou vous me tiendrez enchaîne.

Sur le visage des dieux, le sourire s'est efface. Tous se regardent en silence, jusqu'à ce que le dieu Tyr s'avance et, sans un mot, place sa main droite dans la gueule du loup.

Fenrir a laissé les dieux refermer le lien autour de lui.

Puis il s'arc boute, tire de toute sa force gigantesque.

Mais le fil ne se rompt pas.

Au contraire, plus il se tend, plus il devient résistant. Le loup essaie encore en vain.Devant tant d'efforts et de contorsions, les dieux se mettent à ricaner, à se moquer en montrant du doigt leur ennemi impuissant.

Bientôt, ils se tordent de rire. Tous, sauf Tyr : de rage, le loup lui a broyé la main.

La gueule ouverte, il cherche à happer les autres ; il mordait l'univers entier ! Alors les dieux en profitent pour planter une épée entre ses mâchoires et s'empressent d'attacher le fil à un rocher qu'ils enfoncent au plus profond de la terre.

Pour ne pas entendre les rugissement de douleur qui déchirent le ciel, pour ne pas voir les flots de sang qui s'écoulent de la gueule béante, les dieux ont regagné le palais d'Asgard ou les attendent des festins aux saveurs infinies.

Mais viendra le temps ou le fil s'effilochera.

Fenrir délivré plantera ses crocs dans les cuisses d'argent de la lune, happera les cheveux d'or des étoiles et livrera bataille à Odin, le chef des dieux, son ennemi éternel. A ses cotes, les géants rassemblés formeront la plus terrifiante armée que la terre ait jamais portée.

Ce jour là, sonnera Ragnarok, le << crépuscule des dieux >>.

Dans un combat égal, les dieux et les géants s'entretueront, afin que naisse enfin un monde meilleur, un monde vert et frais ou le blé poussera sans être semé, ou la paix mettra fin à la guerre.

 

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