La symbolique du loup en Europe Sommaire
1. Introduction
2. Le loup "solaire"
3. Le loup "esprit agraire"
4. Le loup "sauvagerie"
5. Le loup "initiation"
5.1. Initiation à la connaissance
5.2. Initiation sexuelle
6. Le loup "maléfique"
7. La louve
8. Analyse
Source
Catalogue de l'exposition Quand on parle du loup, DELVAUX, Françoise, et MOSSOU, Maggy, Province de Liège - Musée de la vie Wallonne, 1999.
Introduction
Ironie du sort ! Le loup a disparu de nos forêts sans comprendre que nous, ses meurtriers, l'avions depuis longtemps déjà élevé au rang de symbole, et que cette fonction symbolisante allait longtemps lui survivre. D'une certaine façon donc, il est mort immortel...
Nous pourrions définir le symbole comme un terme saisissable, dont l'insaisissable est l'autre terme. Puis compléter cette approche synthétique par quelques remarques.
Pour que l'évidence du rapprochement saisissable/insaisissable soit immédiatement perçue, elle doit d'abord ressortir d'un code culturel assez évocateur pour permettre de capter l'analogie, sinon la démarche symbolisante opère dans le vide.
L'objet (ici, le loup) devenu vecteur symbolique se trouve chargé des valeurs conceptuelles de ses signifiants, qui sont souvent mythiques, mystiques ou magiques, et des pouvoirs que cela implique.
La production et l'utilisation de symboles remonte à la maîtrise de l'abstraction par l'homme, et à sa perception du sacré : la fonction médiatrice du symbole fut dès l'origine des plus importantes.
Et si la condition humaine a mille fois changé de visage au fil des siècles, le besoin de symboliser demeure; le symbole transcende l'histoire, car il répond aux attentes de notre psychisme profond : établir un dialogue entre conscient/visible et inconscient/invisible pour trouver (ou favoriser) nos équilibres mentaux et sociaux. C'est pourquoi aujourd'hui encore et dans tous les domaines nous vivons dans un monde de symboles, et un monde de symboles viten nous.
Précisons enfin que les diverses interprétations du symbole loup que nous allons envisager relèvent de nos civilisations indoeuropéennes, sans prétendre à l'exhaustivité. L'éventail pourrait s'élargir à bien d'autres cultures; laissons?les pour cette fois à la curiosité des lecteurs...
Le loup "solaire"
Le loup perce la nuit de ses yeux fauves; il conserve dans l'obscurité toute l'acuité de sa vision : voilà qui n'a certes pas manqué d'exalter l'imagination fertile de l'homme, qui en a fait un être animé d'une lumière intérieure, d'un rayonnement issu de l'astre solaire lui?même. En outre, la présence plus perceptible du loup en période hivernale conduisit à associer l'animal au solstice d'hiver, début de la phase ascendante du soleil.
Nos anciennes mythologies, du Nord scandinave à la Méditerranée, ont fréquemment relié le loup au soleil, et aux divinités héroïques qui l'incarnaient comme Apollon ou Bélénos. Et si cette facette éclatante de la personnalité du loup nous parvient un peu ternie, c'est que deux mille ans de christianisme l'ont souvent occultée au profit d'un loup exclusivement ténébreux et démoniaque. Pourtant, loup sombre/infernal et loup lumière/céleste se complètent plutôt qu'ils ne s'excluent, en une stimulante dualité dont chaque terme avive la force de l'autre. Le symbolisme solaire se révèle d'ailleurs aussi polyvalent que celui du loup, l'astre pouvant comme l'animal être considéré tant positivement que négativement, selon la variabilité du contexte.
Lié au soleil bénéfique, le loup sera symbole de force vitale, de fécondité (voir loup esprit agraire), d'intelligence, de connaissance (voir initiation), de royauté, d'immortalité en relation avec l'image universelle de la roue cyclique du temps (svastika) dont le soleil figure le centre.
Lié au soleil "néfaste" qui brûle et tarit, le loup sera destructeur, dévorant et apocalyptique. Ce soleil noir, aussi brillant que maléfique, fait spontanément songer au Malin, dont on a si souvent fait du loup le fidèle serviteur...
Le loup "esprit agraire"
On attribua souvent au loup des pouvoirs fécondateurs sur la végétation. Cela ne lui conférait pas à proprement parler le statut de divinité, mais plutôt un rôle d'esprit, de génie agraire, en corrélation avec son symbolisme solaire et sexuel.Les croyances au loup agissant sur les cycles végétaux sont attestées en de nombreux endroits et sous divers aspects, mêlant quelquefois anciens rites agraires et références chrétiennes.
A Jumièges par exemple (environs de Rouen), la Confrérie Saint?Jean élit chaque 23 juin son Grand Maître qui, une fois désigné d'après un rituel scrupuleusement suivi, prend le titre de Loup Vert. II reçoit d'ailleurs une large houppelande et un bonnet pointu d'une belle couleur feuillage. Avant son intronisation, le futur Loup Vert subit d'abord un simulacre de mise à mort sur le bûcher, avant de reparaître à minuit pour donner le coup d'envoi de ripailles et de chants bachiques. Le déroulement de cette cérémonie met indubitablement en scène la mort annuelle de la végétation, passage indispensable vers sa renaissance et l'abondance des moissons futures.
Cette pratique en rappelle d'autres communes à toute l'Europe, où le loup intervient également en tant que génie du monde agricole. L'esprit de la végétation peut s'incarner symboliquement dans un être humain ou dans toutes sortes d'animaux; le loup est assez fréquent. II vit à l'intérieur même des plantes et y demeure tant que, sur tel ou tel champ, il en reste à récolter.
En coupant la dernière gerbe, on tue le loup, on met à mort l'esprit qui s'enfuit pour revenir habiter les récoltes l'année suivante.
L'habitude existe aussi de confectionner avec épis de la dernière gerbe une figurine de l'animal, qui passera l'hiver à la ferme jusqu'au retour du printemps.
Outre son aspect sacré, illustrant cycle de la végétation à travers la mise à m de la divinité qui l'habite, ce rituel remplit si une importante fonction sociale. II pose acte terminal : dissoudre le groupe social provisoire formé par les moissonneurs tout I temps qu'ont duré leurs travaux. II s'agit d'un retour en arrière, annulant symboliquement les liens noués durant cette période entre des compagnons de travail.
Le loup "sauvagerie"
II symbolise tout à la fois l'animalité primitive repoussée aux confins du monde civilisé et nos propres pulsions barbares refoulées da l'inconscient. Selon la mythologie, ce versa hirsute de notre âme policée exulte particulièrement en hiver, période à loups par excellent Entre Noël et Epiphanie, les Douze Nuits l'Io' Douze Jours) représentent une période critique le soleil tarde à triompher dans la lutte hasardeuse qui l'oppose aux ténèbres; sa roue ne tourne plus et le temps s'immobilise, su pendant avec lui toutes les lois humaines
sauvagerie peut alors à nouveau reprendre s6 i droits spoliés parla civilisation, et faire déferle'' sur celle-ci d'inquiétantes créatures.
les doigts griffus, les crocs saillants et l'horrible souffrance épouvantent les passants rencontrés lors de leurs errances nocturnes.
le mythe du loup?garou s'apparente à celui de la Horde Sauvage, troupe déchaînée d'hommes?bêtes (hommes?loups, hommes?boucs, Centaures) déboutant sur villes et villages pour enlever/violer les femmes et tuer/mutiler les époux. Romulus, fils de la Louve et père de Rome, ne fit rien d'autre en enlevant les Sabines : pour donner aux Romains les épouses?donc la descendance?que les Sabins leur refusaient, il transgressa les lois humaines en vertu d'une Loi supérieure et pré?existante, celle du partage sexuel vitale à la survie de toute espèce vivante. Le rapt des Sabines et leur viol par des hommes?loups étaient à Rome commémorés chaque hiver lors des fêtes Lupercales instaurées en (honneur du dieu Faunus (l'équivalent du Pan grec)
des bandes d'hommes furieux, vêtus de peaux de boucs ou de loups, les Luperques, sillonnaient la Ville en s'y livrant aux plus licencieuses violences. Ils renouaient ainsi provisoirement avec une ère antérieure à la civilisation, jusqu'à ce que le groupe social outragé réagisse à son tour et s'unisse pour les traquer hors les murs.
Le pape interdisit définitivement les Lupercales au Ve siècle, mais le mythe (universel) de la transformation d'hommes en bêtes, notamment en loups, subsista sous diverses variantes. La Horde Sauvage traversa donc les âges. Un de ses plus terribles avatars modernes nous parvint par le biais du nazisme. Quand nous associons nazis et loups, nous obéissons en fait à une volonté délibérée des nazis eux?mêmes. Pour éviter les références judéo?chrétiennes, le Reich et ses mystiques ont abondement puisé aux mythologies germaniques, au sein desquelles loups, loups?garous et autres hommes?bêtes occupent une place de choix. En Bavière par exemple, région?berceau du Parti par excellence, les croyances en la Horde Sauvage ont toujours été vivaces). Les photos et documents filmés de l'époque hitlérienne nous montrent des loups stylisés ornant quantité d'oriflammes et de tambours, mais plus intéressant encore est d'apprendre qu'un commando chargé, à la fin de la guerre, de dépister et massacrer les traîtres au Führer prit pour nom Werwolf Oberbayern : le Loup?garou de Haute?Bavière, revivifiant ainsi le mythe de la plus horrible façon.
Au plan symbolique, cette sauvagerie destructrice était d'ailleurs prévisible de la part d'un régime ayant choisi pour emblème la croix gammée destrogyre, car si le svastika originel (sinistrogyre) figure la rotation terrestre, l'ordre cosmique, le temps cyclique et rassurant, son contraire détourné aux sens propre et figuré implique obligatoirement le renversement de toutes les lois, l'instauration d'une ère nouvelle synonyme de domination d'un tyran sur l' Univers.
Heureusement les exactions de la Horde Sauvage mythique (quel que soit le visage qu'elle prenne) restent en général cantonnées à une violence fortement ritualisée. Elles s'insèrent dans un processus instauré pour renforcer la cohésion sociale : c'est la pratique symbolique universelle du transfert du mal sur un bouc?émissaire. Le loup a souvent joué le rôle du proscrit que l'on charge de tous les péchés du monde. II est d'ailleurs révélateur de constater qu'en anglo?saxon ancien un même mot désigne proscrit et loup .
Toute société constitue un petit univers édifié sur le partage de certaines normes et lois communes, ressenties comme la civilisation. Or le mal existe de manière intrinsèque; il met en exergue les imperfections de ce bel édifice et menace de l'altérer. Les racines de ce mal sont à la fois naturelles, humaines et divines, il faut l'exorciser avant qu'il ne mène à la totale déliquescence. L'irruption d'un autre (étranger, loup, Juif...) en fournit l'occasion car elle produit un élan protectionniste, un besoin de défense du groupe qui renforce sa cohésion. Porteur d'un principe mauvais, l'intrus est expulsé, tué symboliquement ou réellement afin que revienne le consensus. Dans nos campagnes où, surtout l'hiver, de petites communautés vivaient quelquefois en autarcie, le rôle de l'indésirable fut souvent joué par le loup, bouc?émissaire idéal rendu responsable, pêle-mêle, de la rage, de disparitions d'enfants, d'attaques contre le bétail et les hommes isolés, ou d'autres calamités encore, le plus souvent imaginaires.
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