Le pouvoir des sorciers
de village ne se borne pas à "charmer" les fusils des chasseurs qui manquent
leur but, jusqu'à ce que le sort qui pèse sur eux soit levé; à empêcher les poules de
pondre, à "biner" le lait du voisin, c'est-à-dire à le faire passer dans les
mamelles de sa vache à soi.
Voici quels moyens un
sorcier du Bourbonnais employait pour donner du lait aux vaches qui n'en fournissaient
plus.
Quand les vaches n'ont plus
de lait, il ne manque pas de dire qu'il a passé dans les mamelles des vaches d'un voisin,
et cela par l'influence du malin esprit. Le sorcier demande alors neuf jours pour
exécuter ses prodiges.
Il commence par se faire
donner du rameau bénit, un cierge de Pâques et deux écus de six francs, au nom des
vaches malades; or le démon opère ses maléfices à la faveur des ombres de la nuit;
c'est donc la nuit qu'il faut aller le chercher et le combattre. Le sorcier en effet
attend le soir pour déployer sa science, et mettre en oeuvre les immenses ressources de
son infatigable génie.
Il emploie les premières
nuits en ablutions dans les écuries, et il a soin de les faire de la main gauche, avec le
buis bénit, et à la lumière du cierge pascal; pendant cette cérémonie, les vaches,
possédées par le Malin entrent en fureur et menaçent, mais en vain, le sorcier.
On porte, les nuits
suivantes, le peu de lait qu'on a pu traire, et les terrines qui le contiennent dans un
four ardent, chauffé pour cette circonstance; le feu consume tout, et chose bien plus
incroyable, quand la flamme et la vapeur se précipitent en tourbillon dans la cheminée,
on entend des murmures sourds et prolongés, qui indiquent la fuite du diable.
A la quatrième séance, on
conduit le troupeau auprès d'une croix, entre quatre chemins, vers minuit. Bientôt on
voit errer dans les alentours une horde de chats qui se jettent sur le dos des vaches, en
faisant entendre des cris épouvantables. Mais des ablutions, faites de la main gauche et
à la lumière du cierge pascal, mettent en déroute l'infernale légion. Toutefois, le
sorcier n'obtient pas la victoire sans engager avec le démon d'affreux combats. On voit
qu'il lutte corps à corps avec lui, tant il fait d'efforts et d'effrayantes contorsions
pour le terrasser. Il serait lui-même possédé, qu'il ne se remuerait pas d'une manière
plus convulsive et avec plus de rage. Saint-Michel pour délivrer le monde des ravages du
diable, avait une solide armure et une longue épée; tandis que lui, le pauvre sorcier,
il n'a que sa foi et ses deux bras pour batailler avec l'éternel ennemi du genre humain.
Notre homme se réserve
encore de rudes fatigues pour les dernières nuits. De sa main gauche, il saisit chaque
vache par la corne et les fait tourner autour de lui. Enfin, le neuvième jour, le Malin,
voyant qu'il faut déguerpir, veut jouer de son reste; un nouveau combat à outrance
auquel les vaches ne manquent pas de se mêler, a lieu dans l'étable; le sorcier en sort
bientôt, haletant, inondé de sueur, et couvert de contusions: mais aussi désormais les
mamelles des vaches ne tariront plus...
Ce n'est pas assez d'avoir
rendu le lait aux vaches, le sorcier veut encore faire connaître le voleur. Pour cela, il
s'adjoint un compagnon; il se munissent l'un et l'autre d'un fusil chargé, et des
attaches des vaches; et ils vont au carrefour d'où les chats ont été chassés. On pose
les attaches à une certaine distance et d'une certaine façon: puis des hurlements sont
échangés; le sorcier tire son coup de fusil et un buisson d'aubépine s'enflamme tout à
coup, et l'on aperçoit, à cette clarté, le voleur de lait, enveloppé de nuages. Le
compère tire son coup de fusil contre les attaches, du milieu desquelles s'élèvent une
noire vapeur et de lugubre gémissements. Puis tout disparaît, tout rentre dans les
ténèbres et dans le repos.
Le mystère est consommé.
Le lendemain, on rencontre bien dans le village quelque individu malade, qui peut passer
pour le voleur de lait. Disons toutefois que si l'on cherchait bien dans l'étable, on
trouverait sans doute quelques bouquets d'armoise (réputée chasser les mauvais esprits)
et d'autre plantes aromatiques, que le sorcier n'a pas manqué d'employer pour opérer son
miracle. |