La Dame Blanche
de Castell Ogwr
Dans le château qui surplombe Ogmore,
il y avait autrefois un fantôme qui rôdait à travers les ruines, les nuits de pleine
lune, et qui chantait tristement. On l'entendait parfois depuis le village, et les
habitants se terraient chez eux de peur que le fantôme, qu'on appelait Y Ladi Wen,
c'est-à-dire la Dame Blanche, ne vînt se présenter à la porte de leur maison. Et
pourtant, cette Dame Blanche, on aurait bien voulu lui parler et lui faire révéler son
secret : on savait en effet qu'elle était la gardienne du trésor qui était enfoui
depuis des siècles dans les ruines du château.
Une nuit, un homme du village, qui était plus courageux que les autres, se risqua à
monter jusqu'aux murailles qui entouraient le sommet de la colline, bien décidé à
rencontrer la Dame Blanche. Pour se garder de tout maléfice, il avait pris soin
d'emporter avec lui une branche d'aulne fourchue, ce qui a le pouvoir, c'est bien connu,
d'écarter les mauvais esprits, ou tout au moins de les tenir à distance. L'homme longea
les murailles. La lune n'était pas encore levée et il se demandait avec une certaine
angoisse à quel moment le fantôme allait apparaître et quelles seraient ses réactions
en le voyant dans son domaine.
Bientôt, il aperçut la lumière de la lune, au-dessus d'un grand bois, et en même
temps, il entendit une longue mélopée se dérouler dans le vent. Il se cacha dans un
recoin très sombre et attendit. Bientôt, il aperçut la Dame Blanche qui semblait
glisser lentement sur les pierres disjointes de la cour. Alors, il n'hésita plus et se
présenta devant elle, tenant en sa main, droit devant lui, la branche d'aulne.
La Dame Blanche s'arrêta, comme surprise, et le regarda. L'homme fut surpris, car il
pensait découvrir un visage horrible de spectre : au contraire, la Dame Blanche avait les
traits d'une jeune fille de grande beauté et son regard exprimait une grande douceur.
Elle se mit à sourire et dit :
- Que viens-tu faire ici, homme téméraire ?
- Je viens pour que tu m'indiques où se trouve le trésor, répondit-il.
- Alors, suis-moi, dit la Dame Blanche.
Et, toujours en glissant sur le sol, sa grande robe blanche frémissant dans le vent de la
nuit, nimbée des rayons de la lune, elle s'en alla vers la vieille tour et y pénétra
par une porte basse. Il faisait plus sombre dans la tour et l'homme avait peine à
distinguer ce qui s'y trouvait.
- Vois-tu cette dalle, près de la cheminée, dit la Dame Blanche. Soulève-la et tu
trouveras ce que tu cherches.
L'homme commençait à s'habituer à l'obscurité. Un peu de lumière pénétrait par une
petite fenêtre à l'étage et il distingua une grande dalle devant la cheminée. Il s'y
précipita et tenta de la soulever. Mais elle était si lourde qu'il mit longtemps à
pouvoir la bouger. Avec patience, il commença par la lever de quelques pouces et, en y
mettant des pierres pour la caler au fur et à mesure, il parvint à l'écarter,
découvrant une cavité qui lui sembla assez profonde.
- Regarde à l'intérieur, dit la Dame Blanche.
Il se pencha et vit un chaudron qui était rempli de pièces d'or. Ébloui par cette
découverte, il ne savait trop que faire.
- Tu peux prendre la moitié de ce que contient le chaudron, continua la Dame Blanche.
Mais laisses-en la moitié pour moi. Ainsi le partage sera équitable entre nous, et tu
pourras vivre comme bon te semblera. Mais souviens-toi de notre accord : la moitié pour
chacun d'entre nous.
L'homme avait emporté un sac à toutes fins utiles. Il eut vite fait de le remplir avec
la moitié des pièces d'or qui se trouvaient dans le chaudron. Puis il se redressa et
voulut partir.
- Attends, dit la Dame Blanche. Il faut d'abord que tu remettes la dalle en place, afin
que le trésor soit protégé.
L'homme se hâta d'obéir, et quand tout fut en ordre, il prit le sac, le mit sur son dos,
ramassa sa branche d'aulne et, sans plus s'occuper de la Dame Blanche, il sortit de la
tour, se précipita hors du château et revint à son logis le plus vite qu'il put, le
coeur battant de peur rétrospective, mais aussi de la joie qu'il éprouvait d'avoir pu
découvrir le trésor.
Il passa le reste de la nuit à compter ses pièces d'or. Il en avait tant qu'il pouvait
être assuré d'être riche toute sa vie. Il faisait des projets, se disant qu'il
achèterait une grande maison et qu'il aurait des domestiques, un beau cheval et qu'il se
marierait avec une fille de gentilhomme. Quand le jour fut levé, il cacha sa fortune dans
une cavité, près de sa cheminée et, après avoir pris quelques pièces, il alla à la
ville faire des emplettes. Bien entendu, il ne souffla mot à personne de son aventure,
car il n'avait nulle envie qu'on vînt le voler. Et, la nuit suivante, il se remit à
compter ses pièces d'or, comme s'il ne pouvait pas croire à la réalité de son heureuse
fortune.
Cependant, la semaine suivante, il pensa qu'il y avait autant d'or sous la dalle, dans la
tour du château. Il se disait même que cet or ne servait à rien et que la Dame Blanche
n'en avait nul besoin : un fantôme ne mange pas, ne boit pas et ne dors pas dans un bon
lit. Et comme il connaissait maintenant l'emplacement du chaudron, il lui était facile
d'y retourner et de prendre encore quelques pièces.
Il monta jusqu'au château et s'en alla directement dans la tour. Il reconnut la dalle
sans difficulté et s'acharna à la soulever. Le chaudron était toujours là, à demi
rempli. Il prit le plus de pièces qu'il put et les mit dans ses poches, puis il fit
glisser la dalle à sa place habituelle, se disant qu'il en avait assez pour l'instant et
qu'il pourrait toujours revenir si le besoin s'en faisait sentir.
Il s'était relevé et se préparait à sortir quand il aperçut la Dame Blanche devant
lui. Elle n'avait pas son sourire de l'autre nuit, bien au contraire, et elle grimaçait
horriblement.
- Voleur ! s'écria-t-elle.
Et elle se précipita vers lui, les mains en avant. L'homme s'aperçut avec terreur que
ses doigts étaient de véritables griffes menaçantes. Il n'avait pas pensé à apporter
avec lui la branche d'aulne fourchue, aussi la Dame Blanche le blessa douloureusement sur
le corps et le visage et le laissa inanimé. Puis elle disparut dans la nuit.
Quand l'homme reprit conscience, il faisait déjà jour. Il se souleva avec peine et vit
que la cavité, près de la cheminée, ne contenait plus le chaudron. Il se tâta et
s'aperçut que ses poches étaient vides. Il revint chez lui avec les plus grandes
difficultés, car il était perclu de coups et couvert de blessures. Aussitôt arrivé
dans sa demeure, il se coucha. Mais son mal ne fit qu'empirer et ses voisins, inquiets de
le voir ainsi, firent venir un médecin.
Mais les remèdes furent inefficaces. Quelques jours plus tard, l'homme mourut. Mais il
avait eu le temps de confesser à ses voisins ce qui lui était arrivé et comment son
avidité avait été cause de sa maladie. C'est pourquoi, dans le village, on appela cette
maladie « la vengeance de la Dame Blanche ». |
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