Entre Tintagel et Boscastle, non loin de la côte, se dresse un tertre qui semble narguer le ciel et la mer toute proche, c'est le mont Bossiney, et autrefois, on racontait d'étranges choses à son propos. On disait qu'un trésor y était enfoui, mais qu'il était sous la garde d'un démon. Quelques personnes avaient essayé de creuser au pied du mont, mais elles n'avaient rencontré que de la roche et des cailloux, et pas la moindre trace d'une galerie qui aurait mené jusqu'au trésor. D'ailleurs, d'autres disaient qu'on ne pouvait trouver son chemin à travers le mont que si on était doué du don de double vue. Quiconque s'y serait aventuré sans ce don, se serait égaré et aurait erré jusqu'à la fin du monde, sans jamais pouvoir en ressortir.
Mais, la nuit de la Saint-Jean, qu'il fît un beau clair de lune ou que le ciel fût recouvert de nuages, d'étranges lueurs semblaient surgir du mont Bossiney. Ce n'était pas le reflet des feux qu'on allumait dans les villages, quand on se réunissait pour danser au-dessus des flammes, non, c'était une lumière qui venait des profondeurs de la terre, comme si, tout à coup, quelque forgeron infernal avait résolu d'embraser le monde en actionnant son soufflet comme un démon pour mieux brûler les âmes des damnés.
Or, cette année-là, un homme du nom d'Evin avait décidé d'en savoir davantage sur cette étonnante lumière. Au lieu de participer à la fête qui se déroulait sur la place de Tintagel, il avait quitté le village et était allé s'embusquer dans un buisson, non loin du mont Bossiney. Il regardait de tous ses yeux, s'efforçant de ne pas se laisser distraire par toutes les lueurs qui éclataient de part et d'autre et ne voulant pas écouter les chants qui jaillissaient de toutes parts pour accompagner les danses.
Il entendit sonner les douze coups de minuit, et le dernier écho n'en était pas encore dissipé qu'il sentit la terre trembler sous lui. Prêt à se coucher à plat ventre, il vit, à sa grande stupéfaction, la base du tertre vaciller et les rochers s'entrouvrir, tandis qu'une lumière violente l'atteignit en plein visage. Mais Evin était venu pour savoir : d'un seul élan, il se précipita vers cette ouverture, les yeux à demi-fermés pour ne pas être aveuglé. Il marcha dans un couloir dont le plafond était très bas et qui allait en s'élargissant. Il arriva bientôt dans une grande salle dont les parois semblaient avoir été taillées dans le cristal le plus pur. Mais ce n'étaient pas ces parois qui provoquaient cette lumière dont Evin était inondé, c'était autre chose qui se trouvait au milieu de la salle.
Evin s'approcha, tentant désespérément d'ouvrir ses yeux le plus grand possible, mais la clarté était si forte qu'il distinguait à peine ce qu'il y avait devant lui. Pourtant, après quelques instants, il aperçut nettement, au milieu de la salle, une grande table qui était toute ronde, et qui était faite d'un or si pur qu'on eût dit que c'était le soleil.
- Ainsi, c'était cela ! se dit Evin en contemplant la merveille.
À ce moment, il vit une femme s'approcher de lui. Une femme vêtue d'une robe étincelante, avec des cheveux très longs qui frémisaient sur ses épaules à demi-nues. Ce n'était sûrement pas un être humain, tant elle semblait glisser sur le sol, et Evin remarqua que ses pieds nus avaient la même couleur dorée que la table ronde.
- Ne reste pas ici, lui dit-elle, car il va bientôt faire jour et tu demeureras enfermé dans cette salle jusqu'à l'année prochaine.
- Mais, dit Evin, il est tout juste minuit. J'ai largement le temps de regarder cette merveille !
- Fais ce que je te dis ! s'écria la mystérieuse femme. Va-t'en immédiatement ! sinon, tu n'en auras que des regrets !
Et, ayant ainsi parlé, la femme disparut, laissant Evin seul dans cette salle où la table devenait de plus en plus brillante, de plus en plus lumineuse, de plus en plus envoûtante. Mais il n'était guère rassuré par le ton de voix qu'avait pris la femme pour l'avertir de s'en aller. Brusquement, il eut peur de rester enfermé sous cette butte et ne pouvoir plus jamais en sortir. S'arrachant à sa contemplation, il se mit à courir en sens inverse dans le corridor et se retrouva bientôt à l'air libre.
Les premières lueurs de l'aube apparaissaient derrière les collines. En se retournant, Evin vit que l'endroit par lequel il était passé était bouché, comme si rien n'avait bougé à la base du mont Bossiney.
Il chercha pendant longtemps, mais il ne trouva aucune trace d'ouverture : partout l'herbe était intacte et les rochers qui affleuraient portaient la marque du temps. Ils étaient recouverts de mousses et de lichens. Et le soleil, se levant à l'horizon, vint frapper le visage d'Evin avec une grande douceur. Perplexe, il revint lentement vers le village. Tout le monde dormait encore, après cette nuit de chants et de danses, mais il savait qu'un homme sage, qui vivait un peu à l'écart, en solitaire dans une maison de chaume, était déjà éveillé. Il alla le trouver et lui raconta ce qui lui était arrivé.
- Ai-je rêvé ? lui demanda-t-il enfin.
- Certes non, répondit l'homme sage. Tu n'as pas rêvé. Mais garde-toi bien de raconter cette histoire à quiconque, car nombreux sont ceux qui viendraient s'entretuer pour découvrir ce que tu as vu. Sache, mon ami, que cette table d'or qui produit une si magnifique lumière est la Table ronde du roi Arthur et de ses chevaliers. Mais les temps ne sont pas encore venus, cette table doit demeurer enfouie sous le mont Bossiney jusqu'au moment où Arthur en personne viendra y tenir une réunion plénière de ses compagnons de toujours. Une fois par an, en cette nuit de la Saint-Jean, le tertre s'ouvre : et il y aura un jour où le roi Arthur se présentera à l'entrée pour reprendre possession de son royaume.
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